Trans Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 11. Nr. April 2002

Internet , espace et communication en ligne

Du babélien numérique au multilinguisme virtuel

Boyomo Assala (Yaoundé)

Il est incontestable que l'universalité' des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) et plus singulièrement d'Internet, tient plus au discours qui en parle qu'à leur réalité tangible. Cette notoriété repose sans doute sur le fait que même sans les avoir vu, tout le monde sait ou croit savoir ce que c'est, au point qu'elles s'inscrivent si' fortement dans notre pratique quotidienne qu'elles apparaissent implicitement à chacun comme un fait universel et par extension un fait naturel.

Mais cette croyance à l'Internet fondée sur le discours est aussi le produit de tout un "travail social" au sens de DURKHEIM dont l'une des activités principales de construction de la réalité repose sur la production des mots qui enferment nécessairement une vision du monde. Et la force de cette technologie tient non seulement à sa capacité à créer un nouveau langage total comportant un lexique et une grammaire nouveaux mais également à créer de la valeur en donnant au vocabulaire usuel une plus grande amplitude du fait des possibilités offertes de multiplier les échanges. L'une des questions qu'on peut se poser alors est de savoir de quelle façon langage ordinaire et langue électronique interagissent. L'humanité évolue-t-elle vers la formation d'un babélien numérique qui marquerait Si l'on en croit ETIEMBLE, la destruction de toutes les langues ou faut-il se féliciter de l'émergence d'une ou de plusieurs langues nouvelles sans cesse nourries par le rythme de production d'objets toujours plus modernes et qu'il faut bien nommer? Déjà se mettent en place des ferments d'un conflit: en 1992, le dictionnaire Hachette admettait 196 mots nouveaux du français vivant, après avoir indiqué que les mots doivent être compris et répertoriés, quelle qu'en soit leur longévité.

Aujourd'hui certains de ces mots, tels que best of billetique, mancariser, cablo-distributeur ou vétronique, sont passés dans le langage courant alors même que certains dictionnaires français hésitent encore à répertorier tous les mots nouveaux, produits de tout le corps social.

En Afrique, ce qui est spécifique à l'Internet est que non seulement le langage usuel qui l'évoque précède son avènement, mais de plus, celui-ci ne semble pas suivre le même rythme d'évolution que sa langue. C'est comme si se produit ici, l'ancien processus de transmission des langues de bouche à oreille, avec son empirisme et ses approximations.

Et l'on connaît les déformations qui résultaient de ces modes de transmission des langues: ainsi le mot amorem, prononcé par un légionnaire romain qui désirait une gauloise, et qui devint par l'oreille et la bouche de cette Gallo-romaine, amour. Plus près de nous l'origine des noms "Bétare Oya" (1), "Ebolowa" (2) et surtout de nombreux mots du vocabulaire de nos langues maternelles, est trop connu pour être développé ici. La confusion relativement courante entre "nouvelles technologies de l'information et de la communication", "médias électroniques", "nouveaux médias", "lnternet" souligne le caractère empirique d'un universalisme spontané et discursif peu nombreux sont parmi ceux qui en parlent, ceux qui les ont vu effectivement.

Le problème de sens ainsi esquissé se pose à deux niveaux: d'abord dans la polyglosie qui résulte de l'interaction morphologique et phonologique entre le français ordinaire et la langue numérique, interaction exacerbée par le substrat naturel que constitue, même chez le lettré, la langue maternelle (I); et ensuite au niveau de l'espace public (salons, café, places) qu'induit ce nouveau babélien numérique (II).

 

I  BABELISME INTERNETIQUE ET POLYGLOSIE EMERGENTE

Les médias classiques - presse, radio, télévision, téléphone, publicité, tourisme avaient déjà en Afrique disqualifié nos médias traditionnels (tam-tam, cors, cornes, sifflets) pour transmettre les messages de bouche à oreille en ajoutant la possibilité de percevoir les mots et les phrases par les yeux autant que par l'oreille, au point souvent de ne plus faire de différence entre la graphie et la prononciation. Internet y a mis la valeur ajoutée syntaxique tout en imposant une sorte de rhétorique continue et linéaire, du récit traditionnel enrichi de néologismes et dont on peut se demander s'il s'agit d'une mode langagière ne touchant qu'une minorité de mondains comme l'italianisation du français qui, au XIXè siècle ne touchait que les gens de la cour et à peine les villes, ou d'une lame de fond touchant profondément la langue ordinaire comme la francisation durable et progressive de nos langues maternelles.

Car l'Internet c'est d'abord comme pour toute science et toute technologie nouvelle, un lexique spécifique et forcément nouveau. Mais Si des mots tels que "adresse", "babillard", "cybercafé", "forum", "serveur", "télécharger " ou "web" sont en passe de devenir courant, "netiquette", (ensemble de règles de conduite à observer sur l'Internet et surtout sur "usenet"), "usenet" (partie de l'Internet regroupant les newsgroups de façon thématique et hiérarchisée), "newsgroup" (sous-ensemble de usenet regroupant des personnes connectées à Internet qui échangent des informations partagées par toutes les autres personnes affiliées au même groupe souvent thématique), "full duplex" (se dit d'une liaison permettant de faire circuler l'information dans les deux sens simultanément) ou "hypertexte" (texte informatique permettant de basculer sur un autre texte auquel il est relié par un lien informatique) sont encore assez peu utilisés en dehors des cercles des initiés. Souvent ici, un nouveau mot renvoie à une phrase nouvelle, le sens numérique du mot ancien échappe au sens commun, les mots se mélangent de façon aléatoire et fugitive, télescopant leur usage quotidien et trahissant un désarroi langagier qui est une manière d'incompétence technologique.

Ces mécanismes langagiers sont en effet liés l'expérience insuffisante de la vie technologique. Comment dire en français ordinaire "je dois aller au cybercafé télécharger à partir d'un network information center, un logiciel freeware, pour ne pas procéder au "cybercash"? Et comment le traduire en éwondo ou en gnognia1a?

Longtemps le français a vampirisé nos langues. Aujourd'hui Internet babélise autant le français que les langues maternelles du point de vue de la prononciation, de la morphologie, de la syntaxe et de la sémantique. La vitesse qui caractérise le langage en ligne a gagné le discours usuel. On ne dit plus aujourd'hui "du côté du pouvoir l'on pense que...", mais "côté pouvoir...". Il faut faire court pour être à la mode et dans le vent, ou plutôt pour être "in". "C'est d'ac! et perso!". Juste retour des choses. L'américanisation du français a fait que depuis le milieu du siècle dernier l'on emploie force termes anglais pour désigner divers objets ou notions qui s'expriment fort bien en français, comme la mode veut qu'on désigne en français des notions exprimables en langues nationales. Aujourd'hui ceux des camerounais qui parlent bien l'anglais et/ou le français auraient du mal à traduire l'expression française "partir à l'anglaise" ou "to take a french leave" dans l'une ou l'autre de ces langues et dans leurs langues maternelles. Et lorsque l'objet est aussi nouveau que l'Internet, les mots pour le dire se font métaphoriques, confus: ainsi, la radio devient "nda alon minkwobo" en ewondo (la maison de l'émission des paroles) ou "élimba dikalo" (la boîte à messages) en Douala. L'abbé Théophile ABEGA(3) donne souvent l'exemple de la traduction du français "c'est moi" en "ene ma" en ewondo, là où "Ma" seul suffit, ce qui constitue un véritable babélien où des jeunes et même parfois des adultes qui pensent en français traduisent en langue maternelle leur pensée. Ici celle-ci devient la seconde langue, le français ayant le statut de première langue.

La langue numérique elle n'est encore qu'en marche, mais déjà se mettent en place les éléments d'un babélisme "internetique": l'invasion de la culture française par les américains (malgré l'exception culturelle), la vulgarisation de l'ordinateur et de l'informatique, le développement d'Internet et la pénétration croissante de la publicité et du tourisme. La radio, la télévision et dans une moindre mesure la presse écrite dont la libéralisation a provoqué l'explosion n'expriment plus qu'un français très approximatif dont ne subsiste que le nom, à l'image du discours aussi prolixe que confus et inconnu de J. Remy NGONO (4), tout en imposant le sentiment que c'est le niveau du discours souhaité par le petit peuple de Mvog-Mbi. Quant à la publicité, elle a fini elle aussi par faire croire que l'emploi des termes exotiques reste le meilleur moyen de vendre plus cher n'importe quelle marchandise. Ainsi les jeunes sont-ils inviter à "capoter" pour éviter de contracter le sida, ils doivent "positiver" aujourd'hui comme hier leurs parents se rowentaient la vie. Demain, leurs enfants ne se contenteront plus seulement de "surfef" sur Internet ou de commercer en ligne comme eux. Ils devront purement et simplement "internetisef" leur vie en mettant toutes leurs activités "en ligne": travail, formation, santé, amitié, amour, mariage, etc.

A Yaoundé comme à Douala, ils peuvent déjà prendre leur "p'tit dej" ou "petit déjeuner" dans des cybercafé, avant d'aller dans des Ceseling circuit où ils regarderont CNN ou la CR TV - Télé sur satellite.

Le sens et la valeur des adjectifs sont pervertis, coupés en rondelles pour faire bref quitte à couper l'idée. L'effet de choc est recherché avant tout: on est interactif, interconnectif même. Le serveur du cybercafé se confond avec le système informatique central consultable à distance par un autre ordinateur. "Provider" peut difficilement se comprendre Si on n'y met pas la prononciation anglaise. Il lui faut ce "plus" qui permet de le comprendre Car les mots sont des produits compétitifs. Seuls s'imposent ceux qui sont adoptés par le plus grand nombre et qui pourtant ont pour la plupart une influence délétère sur la langue. L'on imagine aisément l'ampleur du problème lorsqu'il s'agit d'articuler des mots à un contexte social dont les catégories sont autant de contraintes conjuguées à travers lesquelles des agents sociaux doivent concevoir leur vie. Les risques sont grands que la fracture numérique, celle qui se produit entre les agents qui ont accès à l'Internet et jouissent d'une compétence technologique par rapport à lui et les autres, ne se mue pas en fracture langagière voire discursive, et ne se conjugue avec elle pour exacerber les marginalités sociales.

Or, comme le remarquent Peter BERGER et Hansfried KELLNER le langage n'est pas seulement un instrument de construction du monde parce que les catégories linguistiques structurent, pour une part au moins, notre expérience quotidienne et orientent nos conduites, mais il participe aussi de ce travail de construction de la réalité parce qu'il rend possible la "permanence des contracts" entre gens qui s'entendent grâce à lui, et favorise ainsi "da stabilité du monde". Aussi, la rupture entre langues et locuteurs numériques et langues et locuteurs ordinaires a-t-elle des conséquences incalculables sur les socialités africaines et voire même ailleurs où l'Internet paraît plus courant, Si l'on en juge par la difficulté à en faire un objet de droit ou un instrument de la constitution du nomos au sein de ces sociétés. A partir du moment où les rapports entre les signifiants et leurs références sont rompus, le foedus ou contrat qui organise et structure les relations et les dynamiques de la communication n'est plus et la sociabilité devient problématique. En particulier l'espace de l'interlocution, c'est-à-dire la perception de la distance liée notamment au déplacement des interlocuteurs, à la proxémique où à la manière d'occuper l'espace imparti à chacun d'eux et à la perception de l'ici et du làbas, devient différente selon qu'elle concerne l'univers internetisé -certains diraient virtuel- et la réalité spontanée. L'inscription de la communication dans le réel épouse les divers clivages de la perception du vécu: réel/virtuel, visuel/potentiel, probable/textuel. Aujourd'hui, l'espace d'un document écrit,ou la façon dont la parole occupe l'espace par son intonation, ou encore l'organisation de l'espace de la représentation, définissent un espace de lisibilité dépendant de la maquette dudit document: la façon dont il est organisé dans l'espace, la façon dont il est présenté et dont sont représentés dans l'espace de sa lisibilité les différents éléments qui le composent. On peut le lire et l'interpréter comme forme de communication à la lumière de cette organisation en fonction de quatre types d'outils d'analyse et de réflexion. La connaissance des modes et des normes de présentation des documents visuels, liée notamment à la standardisation des maquettes et au développement des logiciels; l'analyse de la typographie et de la mise en page des documents ( aussi bien en ce qui concerne les écrits qu'en ce qui concerne la conception des écrans); l'analyse de l'interpénétration des textes et de l'image dans l'élaboration, la conception et la réalisation dudit document. Désormais comme le souligne Bernard LAMIZET (1995) "d'espace de la sociabilité s'est séparé pour toujours de l'espace réel. Nos rapports sociaux, l'existence même de l'autre sont désormais des données qui se fondent dans le langage, qui s'inventent et se formulent dans les structures mêmes de nos conventions, de nos codes, de notre conversation. L'espace symbolique et culturel se substitue progressivement à l'espace réel".

 

Il  RECONVERSION DU BABELIEN

L'américanisation d'Internet a une origine: 40% de 276 millions environ d'internautes répertoriés dans le monde aujourd'hui sont américains. Même si la tendance de cette américanisation est à la baisse, l'emprise des américains reste encore forte et explique, selon E. TONYE, pourquoi les non-anglophones se sont si longtemps sentis en reste à l'égard de la prédominance de la langue anglaise sur le réseau. Mais une sorte de reconfiguration géopolitique de l'Internet est en cours qui pousse à s'interroger sur l'ampleur de la recomposition linguistique qui va toucher le réseau. Pour l'heure l'écart entre espace virtuel et espace réel est encore. important, puisque selon Global Research, les 155 millions d'anglophones qui utilisent Internet représentent 51,3% d'internautes alors même que les anglophones ne représentent que 5,3% de la population mondiale. Pour le magazine Computer Economics cette tendance va vite se tasser car en 2005, 57% d'internautes parleront une autre langue que l'anglais, les internautes non-anglophones connaissant une hausse de 150% au cours de la période contre seulement 60% pour le marché anglophone.

Même si 86% du milliard de pages d'Internet sont encore en anglais, de nombreuses autres langues sont en croissance dans l'espace virtuel, à côté du français qui représente 2,36% du milliard de pages (soit 24 millions) d'Internet. L'espagnol, le portugais, le japonais, le russe, le mandarin ou l'hindi sont en progression. Du reste, une étude récente du MMXI Europe indique que de plus en plus, un nombre croissant d'européens se tournent vers des portails locaux et dans certains pays, la suprématie des grands portails américains s'en trouverait menacée. "En Allemagne, T. Online (propriété de Deutsche Télécom, jouit désormais d'une très confortable avance sur Yahoo, son plus proche concurrent. Le même phénomène s'est produit en France où Wanadoo (propriété de France Télécom) vient aussi de ravir la première place à Yahoo". (Tonye, 2000)

La traduction automatique offre, selon E. TONYE, l'une des opportunités les plus fructueuses du réseau en matière d'industrialisation des langues. "Depuis 1997, écrit-il, avec le service (bien nommé) Babel Fish, on peut traduire des pages web à la volée sur le célèbre portail de recherche Alta Vista. Treize combinaisons linguistiques sont offertes, notamment la combinaison anglais- français" (Tonye, 2000).

L'on imagine aisément les perspectives que cela ouvre aux internautes africains et à l'ensemble de nos communautés. La vocalisation du réseau, ou ce que TONYE appelle la navigabilité de la voix humaine peut permettre grâce à des logiciels de traduction spécifique, à un planteur sawa de négocier le prix de l'huile de palme avec un consommateur japonais, directement, chacun s'exprimant dans sa langue. Virtuellement, l'on pourrait même passer du texte écrit à son interprétation orale et vice versa. Or l'essor du multilinguisme sur l'Internet peut au-delà de la polyglosie qu'il pourrait engendrer -une opportunité que pourrait exploiter n'importe quel troublé mental pour dire n'importe quoi- est riche de possibilités commerciales. Une étude sur le comportement des cyber consommateurs a établi, rapporte le Forrester Research, que ceux-ci naviguent deux fois plus longtemps dans un site conçu dans leur langue et sont trois fois plus susceptibles d'y effectuer un achat. En ce qui concerne les Africains, Il s'agit non seulement de briser les barrières linguistiques établies entre eux par l'institutionnalisation des langues coloniales, mais aussi de permettre une plus grande visibilité internationale à leurs langues maternelles sans que leur usage apparaisse comme un handicap ou un obstacle aux échanges. Le développement des nouveaux marchés pour des entreprises locales, la création même d'entreprises de commerce linguistique dépendent de la capacité du serveur.

Déjà un certain nombre de services existent tels que le webcourrier multilingue de Wordwalla, lancé en novembre 1999, qui propose une interface à la hotmail permettant d'envoyer et de recevoir du courrier en 38 langues, avec d'autres applications comme le bavardage-clavier (chat et les forums de discussion, ou Slangsoft), qui permet d'interagir en 42 langues avec n'importe quel site web; ou le logiciel Emule qui permet de communiquer en direct dans la langue de son choix. A condition que les locuteurs du swahili, du pular, du haoussa ou du fufuldé, bien plus nombreux en Afrique que les locuteurs du français ou de l'anglais puissent produire ou diffuser des contenus sur le réseau. Déjà un site interactif Avoir en Nouchi.com, "dédiée à la promotion de l'expression africaine sur Internet, (vous) propose d'explorer les ressources du français africanisé avec sourire" le Nouchi qui signifie littéralement moustache ou moustachu, mêle savoureusement le français aux expressions locales, avec des détournements de sens délicieux et des emprunts inattendus à la plupart des langues d'Afrique de l'ouest dont les chauffeurs routiers sensés être moustachus, ont forgé et popularisé ce style argotique.

Le défi pour les pays africains est de barrer la route à la "ghettoïsation" des langues africaines et de travailler pour l'utilisation des grandes langues africaines de communication du continent dans les inforoutes []. Internet porte en germe la possibilité pour le Sud d'avoir accès aux sources d'information dans les mêmes conditions que le Nord, [mais] cette possibilité ne sera effective que si nous surmontons les obstacles linguistiques qui se posent à nous (Ndongo, 2000)

souligne Ousmane Fathy NDONGO, chargé du volet technologies de l'information et de la communication de l'association nationale pour l'alphabétisation des adultes au Sénégal (ANAFA).

Au-delà de cet appel aux africains, il reste encore au plan technologique et technique beaucoup à faire.

D'abord, cela dépend de la capacité des systèmes à travailler plus sur le sens des mots que sur les mots eux-mêmes. L'exemple du service Babel Fish (http://world.altavista.com/) est souvent cité qui pour traduire cette manchette d'un grand quotidien londonien "British Left Wafles on Falkland Island" le fait par "gaufres gauches britanniques sur les Malouines" alors qu'il s'agissait de l'attitude évasive de la gauche britannique à propos de la guerre Malouine en 1982. Par ailleurs, les fonctions de recherche translinguistique, en langue naturelle qui permettent de trouver du contenu en langue X lors d'une recherche exprimée en langue Y, tout comme les noms de domaines et les adresses de courrier qui les contiennent sont limités à l'anglais. D'où l'indignation de Babacar Diop BUUBA, président de l'ANAFA et professeur à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar: " celui qui se ballade dans un cyberespace doit adopter une langue, l'anglais, qui est loin d'être une langue planétaire. La démocratie Internet est exclusive. Elle fonctionne seulement pour les anglophones." (cité selon TONYE, 2000)

Il reste que dès l'instant où l'Internet permet une démultiplication des espaces de diffusion, c'est tout l'espace de la médiation qui est appelé à faire l'objet d'une redéfinition et d'une reformulation dans la problématique de l'espace public actuel et futur. Le premier fait majeur de cette reformulation est la substitution des territoires et de l'espace de l'information et de la communication, formés par les réseaux de dépendance communicationnelle, au territoire des États. Désormais, l'espace des langues ne sera plus l'ethnie ou la nation, mais dessiné par le réseau qui maillera ceux qui pour des raisons diverses entrent en relation les locuteurs désormais indistincts de ces langues et les liens que les non-locuteurs ou ceux qui naviguent sur le réseau voudront établir pour entrer grâce à des portails spécifiques, avec ces locuteurs.

Le second fait à noter tient à l'atténuation de l'effet de distance, avec l'abaissement du temps de latence entre le réel et sa représentation et du temps de circulation des données notamment de la transmutation d'une langue à une autre. Il en résulte une nécessaire reformulation des notions de proximité et d'éloignement.

Enfin le troisième fait est lié au recul des frontières du dicible et du connaissable, qui entraîne une reformulation de notre rapport au savoir et entraîne l'émergence d'un système de compétence dans l'espace public avec une dissociation du pouvoir et du politique et la multipolarisation du pouvoir, le nombre de détenteurs de l'information étant désormais fonction de la compétence à manipuler les nouveaux objets dans l'espace virtuel.

L'espace de communication est en effet un espace virtuel dont on ne peut avoir conscience et faire l'expérience que par la pratique des objets et plus particulièrement d'Internet. Deux espaces sont aujourd'hui en nette séparation: l'espace réel de notre perception et de notre expérience, modifié par la multiplication des moyens physiques et technologiques de communication et développant son propre langage; et l'espace virtuel, celui de notre imaginaire, de notre symbolisme et de notre culture. La dimension de la virtualité qui en résulte impose à toutes les langues de se ré inventer ou de mourir.

© Boyomo Assala (Yaoundé)

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NOTES

(1)  Bétaré Oya est le nom d'une ville de l'Est du Cameroun qui doit à quiproquo entre des explorateurs européens s'enquérant auprès des villageois, du nom de cette localité, et ces derniers, convaincus qu'on leur demandait où se trouvait le chef de la localité, répondirent " le chef se repose " en langue locale "Bétara Oya".

(2)  Ebolowa signifie littéralement "le chimpanzé pourri".

(3)  Professeur de linguistique à l'Université de Yaoundé 1.

(4)  Journaliste , rédacteur en chef de Radio Télévision Siantou au Cameroun.

 

BIBLIOGRAPHIE

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BERGER Peter L. et Hansfried KELLNER (1981): Sociology Reinterpreted: An Essay on Method and Vocation, New York: Anchor Books.

BERGER Peter L. et Thomas LUCKMAN (1966): La Construction Sociale de la Réalité, Traité de Sociologie de la Connaissance, Paris, Méridients-Klincksiek.

CASSIRER, Ernst: Le langage et la construction du monde des objets in: Essais sur le langage. Paris, Ed de Minuit 1969

De BOGLIE, Gabriel: Le Français pour qu'il vive, Paris 1987

DURKHEIM, Emile (1893): De la division du travail social. Paris, Presses Universitaires de France. WWW: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/livres/Durkheim_emile/durkheim.html.

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FAME NDONGO J., MVONDO J., TONYE E. (2000) La communication et les télécommunications en Afrique face aux défis de la mondialisation. Conférence, Yaoundé .Manuscrit inédit.

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PIERRE, J.L.: Le Français dans le "Petit Robert 3, Mémoire de Maitrise, Sorbonne nouvelle Paris III 1970

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RAT, Maurice: Les ravages de l'anglopholie. Techniciens, savants, agents de publicité ou militaires, quels en sont les principaux fauteurs?. in: Le Figaro littéraire 17 Décembre 1960

TONYE,E (2000): élaborations du plan de l'infrastructure nationale d'informatisation et de communication. Conférence, Yaoundé. Manuscrit inédit.


For quotation purposes:
Boyomo Assala: Internet , espace et communication en ligne. Du babélien numérique au multilinguisme virtuel. In: TRANS. Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 11/2001.
WWW: http://www.inst.at/trans/11Nr/assala11.htm.

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