Trans Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 15. Nr. August 2004
 

1.4. The image of the "Other" in the contacts of Europe, Asia, Africa and America
HerausgeberIn | Editor | Éditeur: Agata S. Nalborczyk (Warsaw)

Buch: Das Verbindende der Kulturen | Book: The Unifying Aspects of Cultures | Livre: Les points communs des cultures


Perception de l'école occidentale dans la littérature africaine

Janusz Krzywicki (Varsovie, Pologne)
[BIO]

 

Perception de l'école occidentale dans la littérature africaine

On peut avancer sans exagération que l'enseignement de type européen, vu à travers la littérature africaine d'expression française et anglaise, apparaît comme l'un des principaux facteurs de changement en Afrique. Les autorités coloniales qui le mettaient en place - ou qui soutenaient les institutions et les organisations chrétiennes qui contribuèrent énormément à sa création - avaient sans doute deux objectifs principaux. Premièrement, le système d'enseignement devait accomplir la mission civilisatrice qui constituait le fondement idéologique de l'expansion coloniale. La lutte pour le progrès, dont l'éducation était un élément essentiel, était présentée par les tenants du colonialisme comme le devoir de tirer les peuples arriérés de leur ignorance et du climat de superstitions dans lequel ils vivaient. Non seulement les Européens, mais aussi une partie des élites africaines de la première moitié du 20e siècle, percevaient l'enseignement comme un moyen d'éclairer le Continent Noir. Deuxièmement, ce qui est évident pour les historiens d'aujourd'hui, mais ne l'était pas forcément pour les élèves africains de l'époque, le développement de l'enseignement était une condition indispensable de l'exploitation coloniale. Les écoles, au début, formaient surtout les cadres inférieurs de l'administration coloniale, fournissant entre autres les interprètes et les subalternes du pouvoir, dont les représentants pullulent dans les romans africains, montrés le plus souvent comme insolents, incompétents et profiteurs. L'influence de l'enseignement européen sur les sociétés coloniales, sur leur culture, mais aussi sur les relations de pouvoir, était pourtant assez complexe. Le fossé qui séparait les cultures ethniques du modèle culturel inculqué aux élèves provoquait les jeunes à prendre leurs distances envers leur propre culture, à déprécier leurs coutumes, et créait des conflits de générations qui sont très apparents dans les romans africains. La formation des nouvelles élites bouleversait la hiérarchie traditionnelle, basée sur l'âge. L'importance de ces phénomènes dépasse la simple opposition entre un pouvoir étranger dominateur et une population exploitée [N'Da 1995]. Les anciens élèves des écoles coloniales ne devenaient pas tous des cadres inférieurs de l'administration. Dans certaines régions, ils formaient une nouvelle élite d'instituteurs, de journalistes, de médecins, d'avocats et de journalistes.

Les écrivains qui créent la littérature africaine en langues européennes font partie de cette nouvelle couche sociale. Même s'ils peuvent être envisagés comme un produit de la politique coloniale, il faut dire que c'est un produit involontaire et assez incommode. Car, hormis quelques rares exceptions, les écrivains ne se bornent pas à adopter passivement les modèles qui leur sont inculqués, mais dès leur apparition - tout en appréciant hautement, en général, le savoir auquel l'école les ouvrait - affichent, d'une manière ou d'une autre, un regard qui appartient à une autre culture que celle des métropoles coloniales.

L'image de l'enseignement européen que crée cette littérature est donc très riche et fortement différenciée.

 

Attutides de rejet des écoles européennes et les hésitations des parents

Lorsque les premières écoles d'Etat étaient créées dans les colonies,(1) elles étaient un phénomène nouveau et inconnu, et éveillait toutes sortes d'appréhensions. Le fameux épisode des «écoles de fils de chefs», évoqué dans plusieurs romans et textes autobiographiques de la première génération, montre bien la méfiance à laquelle s'est heurté ce projet.(2) La première réaction des Africains que montrent les textes littéraires, fut défensive. Le narrateur et le personnage éponyme du roman de Boubou Hama, L'Aventure d'Albarka (1972) raconte qu'un jour un émissaire se présenta dans son village avec un bout de papier. Puisque personne ne savait lire, son père, qui était le chef du village, se rendit à la ville, distante de quelque vingt kilomètres, pour demander de quoi il s'agissait. De ce voyage, il rapporta une mauvaise nouvelle: le commandant exigeait que chaque village lui envoyât un garçon, âgé de huit à neuf ans. Le chef, craignant le pire, décida d'y envoyer son propre fils. Albarka lui-même était terrifié. Quand il apprit finalement qu'il devait apprendre la langue des Blancs, il n'en voyait pas l'utilité: dans son village tout le monde parlait la même langue, et tout le monde se comprenait. Jamais on n'y avait vu un Blanc. Dans la ville lointaine il y en avait un, mais l'enfant considérait qu'il serait plus logique que ce soit le Blanc qui apprenne la langue de tout le monde .

La création des écoles de fils de chefs, telle qu'elle est présentée dans les textes littéraires, fut un échec. Boubou Hama écrit à ce sujet - et il n'est pas le seul - que les chefs, à la place de leur fils, envoyaient souvent à l'école un fils d'esclave. Celui-ci se montrait parfois très doué, et faisait sa carrière dans l'administration. Cela créa des tensions très vives. Les chefs traditionnels ne voulaient pas reconnaître l'autorité des fils d'esclaves, et ces derniers cherchaient parfois à prendre leur revanche sur ceux qui, il n'y avait pas longtemps, avaient été leurs maîtres .(3)

La réticence des Africains à envoyer leurs enfants à l'école est évoquée dans plusieurs textes. Elle semble être plus marquée dans les régions fortement islamisées. La crainte de l'aliénation des enfants de leur propre culture y était renforcée par le péril que présentait l'abandon possible de la religion. L'enseignement colonial entrait en compétition avec les écoles coraniques, qui avaient une longue tradition. Pourtant, la victoire des puissances coloniales, la domination des «Nazaréens» sur les croyants, et la supériorité du savoir technique des Européens incitaient à connaître la culture des envahisseurs. Les hésitations manifestées par la famille de Samba Diallo dans L'Aventure ambiguë de Ch. H. Kane (1961) semblent caractériser l'attitude d'une bonne partie des élites musulmanes. Comme dans L'Aventure d'Albarka - mais sans contrainte, cette fois-ci - on envoie à l'école un garçon de la famille régnante dont on peut espérer qu'il résistera à la pression de la culture étrangère et, tout en assimilant le savoir des Européens, restera fidèle aux valeurs de son peuple et de sa religion. Les écrivains qui avaient une attitude plus critique envers les élites traditionnelles, comme Yambo Ouologuem, expliquent la réticence des élites à envoyer leurs enfants à l'école par leur calcul cynique, visant à préserver leur progéniture de l'influence des Européens dans l'espoir de garder le pouvoir.

Les raisons de la méfiance manifestée envers les écoles coloniales, qui sont avancées dans les textes littéraires, sont d'ailleurs très diverses. L'une des plus importantes découlait du fait que dans plusieurs régions de l'Afrique les écoles étaient au début dirigées principalement ou exclusivement par des missionnaires. Ainsi, dans Things Fall Apart de Chinua Achebe (1958), la première école est créée par Monsieur Brown, missionnaire anglican qui se rend bien compte qu'une attaque frontale dirigée contre les croyances traditionnelles n'a pas de sens, et qu'il faut plutôt essayer de convaincre les gens et de se les concilier. Son attitude se révèle efficace. Son école attire un nombre de plus en plus élevé de gens qu'il récompense non seulement par l'enseignement dispensé, mais aussi par de petits cadeaux. Les résultats sont rapides. A l'époque, il fallait à peine quelques mois pour faire de quelqu'un un messager de l'administration, ou même un employé. Ceux qui apprenaient davantage, devenaient des instituteurs, et «échangeaient le travail de la terre contre le travail dans la vigne du Seigneur. [...] Depuis le début, la religion et l'éducation allaient de paire» [Achebe 1963: 164].

Les liens qui unissaient l'enseignement à l'activité des missionnaires provoquaient de nombreuses réticences surtout parmi les gens âgés. Ainsi, dans Daughter of Mumbi de Ch. Waciuma, la narratrice note:

La plupart des gens âgés, comme mes grands-parents, croyaient à la magie. [...] Il en résultait que les gens âgés s'opposèrent aux idées et aux activités des missionnaires, lorsqu'ils arrivèrent chez nous. Ils étaient furieux quand mon père, dans sa jeunesse, s'enfuit de chez lui pour rejoindre la Mission de l'Eglise Ecossaise à Tumutumu [...]. Il avait été attiré par un prédicateur ambulant, prit son courage à deux mains, et plongea dans l'inconnu. Lorsqu'il revint à la maison six mois plus tard, mon grand-père le battit - attitude compréhensible, si l'on tient compte de l'horreur qu'il avait des idées prêchées par les missionnaires. Et ainsi mon père s'enfuit de nouveau à l'école [Waciuma s.d.: 14].

Conformément à leurs convictions, les missionnaires qui dirigeaient les écoles essayaient souvent de faire de leurs élèves des chrétiens exemplaires, par la contrainte si cela leur paraissait nécessaire. Il n'était pas rare qu'ils combattent non seulement ce qui, dans leur religion, était considéré comme un péché, mais aussi tous les autres signes de ce qu'ils considéraient comme des manifestations de la barbarie. L'aliénation de l'enfant qui allait à l'école était proportionnelle au zèle des missionnaires à combattre les croyances et les coutumes traditionnelles. Ngugi wa Thiong'o dans The River Between, et Charity Waciuma dans Daughter of Mumbi évoquent tous les deux, dans des établissements scolaires dirigés par missionnaires, des cas d'expulsion ou de persécution d'élèves Kikuyu ayant subi l'initiation traditionnelle.

Certaines raisons évoquées par les parents, exprimant leur réticence à envoyer leurs enfants à l'école, peuvent paraître étranges, mais sont très significatives, car l'enseignement était traditionnellement associé à la transmission des modèles de comportement, autant qu'à la transmission du savoir. Au temps où Ochola, le héros de The Promised Land de Grace Ogot eut l'âge d'aller à l'école, on croyait p.ex. que

[...] les garçons qui ont été à l'école avaient du mal à persuader les femmes de les épouser. Le bruit courait que ceux qui sont allés à l'école devenaient fourbes comme les hommes blancs. Ils se montraient négligents dans leurs tâches quotidiennes, et aimaient que l'on exécute le travail pour eux. Cela faisaient d'eux des maris oisifs, sur lesquels on ne pouvait compter pour défendre la famille et la tribu de leurs ennemis [Ogot s.d.: 85-86].

L'ambivalence des sentiments éprouvés par les parents qui se décidaient à envoyer leurs enfants à l'école à l'époque coloniale est exprimée dans plusieurs textes. Elle peut être illustrée par le dialogue de deux femmes, dans Idu de Flora Nwapa (1970):

- L'école, tu crois que je vais envoyer mon unique enfant à l'école? Les enseignants vont le tuer. Ils battent les enfants à l'école.

- Oui, mais les élèves apprennent beaucoup à l'école. Si ton fils va à l'école, il saura parler la langue des hommes blancs. Tu pourras l'emmener avec toi, et il te servira d'interprète sur la plage, dans ton commerce avec les blancs. Ces employés blancs ne pourront plus te tromper.

- Tu dis la vérité. Je crois que je l'enverrai à l'école. Adiewere m'a déjà dit que je devrais l'y envoyer, mais jusqu'à maintenant je pensais que cela ne serait pas nécessaire.

- C'est absolument indispensable. Moi aussi, j'enverrai mon fils à l'école quand il aura l'âge, quand il pourra toucher son oreille en passant la main par-dessus la tête [Nwapa 1970: 133-134].

Dans les textes littéraires, ce qui convainc les parents à envoyer leurs enfants à l'école, ce sont le plus souvent les raisons d'ordre pragmatique qui prévalent peu à peu sur les raisons culturelles. Les réticences sont plus grandes, et plus persistantes, lorsqu'il s'agit de l'éducation des filles.

 

La motivation des élèves et des parents qui envoient leurs enfants à l'école

Si l'école occidentale en tant qu'institution suscite des craintes chez de nombreux personnages de romans, l'écriture, partout où elle est évoquée, est un objet de fascination. Ainsi par exemple, dans Le Dernier survivant de la caravane (1985) d'Etienne Goyémidé, l'administrateur colonial, ayant fait venir chez lui le chef Yétomane, lui montre un bout de papier en lui disant qu'il a été informé de la visite prochaine du gouverneur. Le chef est moins intéressé par la nouvelle que par la feuille de papier. L'administrateur lui explique ce qu'est l'écriture et où l'on peut l'apprendre. Quand l'administrateur viendra, le chef n'aura qu'une seule requête à lui présenter: que l'on construise une école chez lui. Même Ochola, dans le roman de Grace Ogot évoqué plus haut, ne pouvait pas rester insensible à "la magie d'envoyer un message à des amis, à l'aide de marques faites sur un bout de papier" [Ogot s.d.: 86]. Il est évident que cette fascination est absente sur les terrains où l'écriture était connue avant l'arrivée des Européens.

L'envie de connaître l'écriture et la langue des hommes blancs n'est évidemment pas le seul motif qui pousse les jeunes vers l'école. Malgré l'aversion qu'une bonne partie d'Africains ressentent envers les autorités coloniales, les Européens jouissent d'un prestige incontestable. Leur puissance, leur richesse matérielle et la position qu'ils occupent dans la société coloniale éveillent des convoitises, et - surtout chez les jeunes - font naître l'aspiration à approcher leur statut privilégié. Le narrateur du roman d'Abdulrazak Gurnah, By the Sea (2001) évoque la complexité des motifs qui poussaient ses amis à fréquenter l'école instaurée par les Britanniques:

[...] je ne crois pas que nous soyons tous conscients de ce que nos désirions. C'était l'apprentissage, quelque chose que nous vénérions, que l'enseignement du Prophète nous avait appris à vénérer, mais dans ce genre d'apprentissage il y avait une sorte de splendeur, quelque chose qui nous faisait vivre dans le monde moderne. Je pense aussi que, secrètement, nous admirions les Britanniques, pour leur courage d'être là, si loin de chez eux, [...] et parce qu'ils savaient faire tant de choses importantes: guérir les malades, conduire des avions, faire des films. "Admirer" est peut-être un terme trop simple pour décrire ce que, je crois, nous ressentions, car c'était plus proche de leur concéder le droit de commandement sur notre vie matérielle [Gurnah 2002: 17-18].

Pour un grand nombre d'élèves, et de parents qui envoyaient leurs enfants à l'école, la perspective d'occuper une position privilégiée dans la société constituait certainement un motif important, sinon décisif. Ole Kantai, le personnage central du roman de l'écrivain kénian Kenneth Watene, Sunset on the Manyatta (1974), se demandait, dans son enfance, si les emplois jouissant d'un certain prestige pouvaient être occupés uniquement par des Blancs, et s'ils étaient les seuls à pouvoir conduire une voiture, car il n'avait jamais vu un Africain le faire. Un soir, il fit part de ses réflexions à son père.

Oui. Son père voyait [les Blancs] traîner sur la plaine à la recherche d'animaux sauvages. Il les voyait le regarder, quand il gardait ses troupeaux. Il ne les comprenait pas. Ils arrivaient tous de la ville située dans le Nord. Le frère aîné d'ole Kantai s'était rendu une fois en ville, et avait vu un grand nombre d'hommes blancs, de voitures et de grandes bâtisses. Ole Kantai doit beaucoup travailler pour aller en ville et joindre la foule d'hommes propres, portant des chaussures. Pour y arriver, il doit travailler avec assiduité sur les livres. Le plus grand rêve qu'il nourrissait dans son coeur était de porter des chaussures et de joindre le lycée lointain [Watene 1974: 20].

Henri Lopes, avec le sens d'humour qui lui est propre, note les illusions fantaisistes qui se mêlent à l'aspiration des enfants à égaler les Blancs:

- Et si tu lis leurs livres, tu peux devenir commandant.

- Même avec notre peau?

- Même... Paraît que les livres peuvent la changer...

- Non, la peau ne change pas. Regardez Eboué... C'est l'âme qui..." [...]

- Veux dire, hein, que quand tu bois l'eau de la dame-jeanne-là tu deviens sorcier tellement ta tête elle est devenue savante.

- Or que c'est comme ça?

- Comme ça, même! De l'eau grigri!

- Quand tu as bu l'eau de Mpoto-là,(4) tu deviens pour toi gaillard, gaillard, plus gaillard que les guerriers du Ngalien.(5)

- Ahan?

- Tu peux gifler sans problème le nègre le plus fier. Si tu le tapes, il te regarde comme un homme ligoté par le diable, et la fièvre de la peur le saisit. Il te dit merci seulement. S'il essaie de te répondre, le tonnerre gronde et le dissout automatiquement en des milliers de morceaux plus petits que le sel fin [Lopes 1990: 84].

L'ambition de se montrer l'égal des Européens, qui parfois se ramène à l'imitation aveugle de leur comportement et de leurs coutumes, est souvent dénigrée dans la littérature. Entre snobisme et aspiration au savoir, la différence est pourtant parfois assez subtile. Dans The Catechist de J.W. Abruquah (Ghana 1965), le personnage central, fils de pêcheur, décide d'apprendre à lire et à écrire en anglais. Il quitte son village pour la ville, où l'école est située, subit toutes sortes d'aventures, mais il n'arrive pas à apprendre à parler comme un Anglais. Cette aspiration est réalisée par un de ses fils, et il meurt heureux [Dathorne 1976: 64].

Le désir d'aller à l'école ou, pour les parents, d'y envoyer leurs enfants, peut pourtant découler simplement de leur rêve de fuir la misère. Pour un père pauvre et éprouvé par le destin, la perspective de voir son fils trouver un emploi dans l'administration peut être le sommet de ses rêves. Pendant un certain temps, l'instruction assurait un revenu stable et relativement important. L'administration coloniale avait tellement besoin de collaborateurs africains qu'elle absorbait facilement tous ceux qui étaient capables de parler la langue du colonisateur, et savaient lire et écrire. Chinua Achebe, dans Things Fall Apart, décrit le succès de la première école fondée par un missionnaire: sept mois suffisaient pour former un messager ou même un clerc. Avec le temps, les exigences devenaient de plus en plus grandes, mais les ambitions montaient également, car les jeunes Africains pouvaient accéder à des postes qui leur avaient été interdits auparavant. Ces espoirs persisteront même plus tard, lorsque le marché du travail sera saturé et la perspective de trouver un emploi, pour les jeunes diplômés, sera très mince. Dans certains cas, comme dans Kill Me Quick de Meja Mwangi, les familles seront toujours prêtes à se ruiner pour assurer l'éducation de leurs enfants.

La décision d'envoyer un fils à l'école ne doit pas forcément être motivée par le désir d'assimilation à la culture occidentale, ou de lui ménager une place aux côtés des Européens. Ainsi par exemple dans L'Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, la motivation des parents est assez complexe. L'élite spirituelle de la société musulmane, à laquelle appartient Samba Diallo, le personnage central du roman, ressent douloureusement la victoire des Européens. Ils y voient une menace pour la foi et les valeurs qui lui sont propres, car elle apporte, en plus de la domination politique, une vision du monde entièrement différente de celle qui est la leur. La supériorité des envahisseurs dans le domaine matériel éveille chez les Diallobé des aspirations difficilement compatibles avec ce qui est considéré comme le chemin menant vers Dieu. Dans le contexte de la foi professant la précarité de l'existence terrestre, cela signifie qu'ils attachent une importance croissante à ce qui est superficiel et non-essentiel. "L'extérieur est agressif", dit le père de Samba. "Si l'homme ne le vainc pas, il détruit l'homme et fait de lui une victime de tragédie" [Kane 1961: 91]. Quand la famille décide d'envoyer Samba à l'école, elle pense pouvoir encore arrêter "la prolifération de la surface". Pour le faire, il devient indispensable d'apprendre les secrets de la culture occidentale; comme le dit la tante de Samba, il faut apprendre comment vaincre sans avoir raison. Samba Diallo est donc envoyé à l'école non pas pour assimiler les valeurs du monde occidental ou pour en profiter, mais tout au contraire, pour apprendre à mieux leur résister ou à les apprivoiser, pour sauver la foi. Cette attitude d'autodéfense ne caractérise pas exclusivement le milieu musulman. Nous la retrouvons par exemple chez le père de Waiyaki dans The River Between de Ngugi wa Thiong'o, roman situé dans le milieu kikuyu.

L'illusion des parents, qui croient que l'enfant, après avoir terminé ses études, reviendra dans son village et restera fidèle aux traditions ancestrales, tout en assimilant ce qui est utile dans la culture des Blancs, peut être illustrée par plusieurs autres textes. Ainsi par exemple, lorsque le père d'ole Kantai, dans Sunset on the Manyatta de Kenneth Watene, envoyait son fils à l'école et vendait son précieux bétail pour en couvrir les frais, il savait qu'il lui préparait un meilleur avenir, mais restait persuadé que son fils reviendrait vivre au village. Mais ole Kantai adopte le nom européen de Harry, et s'éloigne rapidement de sa tradition ethnique. Il devient le produit d'un monde étranger, d'une culture à laquelle il participe passivement, tout en s'aliénant à son milieu. Les brefs séjours au village, pendant les vacances, lui font sentir à quel point il s'est séparé de son entourage familial.

En fait, Harry n'avait pas envie d'aller à la maison. [...] Le sentiment que ses frères, ses soeurs, et ses parents sans éducation lui étaient inférieurs, s'est renforcé. Ils ne savaient ni lire ni écrire. Ils ne connaissaient pas une meilleure nourriture. Ils ne comprenaient rien aux mathématiques. Ils n'habitaient pas dans des maisons en pierres, ils n'avaient pas d'électricité et préparaient leur repas sur un feu de bois. Ils ne pouvaient pas citer Shakespeare ou Bernard Show, ils n'ont lu ni Charles Dickens ni H. G. Wells. Que savaient-ils de H2O et de CO2? Ils ne comprenaient même pas comment le sang circulait dans leurs veines. Ils ne connaissaient pas les grands mots, comme la photosynthèse. Ils étaient des ignorants [Watene 1974: 57].

 

La critique de l'école coloniale

Vision critique des programmes scolaires et du comportement des enseignants

Quelle que soit l'attitude des personnages romanesques envers l'école occidentale - positive ou négative - ils critiquent unanimement les non-sens liés à l'usage des manuels européens en Afrique, surtout dans les colonies françaises. Plusieurs écrivains évoquent un des contresens les plus frappant, dont riaient les élèves de l'époque qui apprenaient que leurs ancêtres les Gaulois avaient les yeux bleus et les cheveux blonds. L'application irréfléchie des programmes scolaires de la métropole se faisait sentir surtout dans les sciences humaines. Les Africains n'apprenaient pas leur propre histoire, qui ne figurait pas dans le programme, et dont leurs maîtres n'avaient d'ailleurs, le plus souvent, aucune idée. Le seul savoir qui leur était transmis portait sur l'histoire de la métropole. Ils apprenaient les exploits de Charlemagne, de François Ier, d'Henry IV ou de Napoléon, mais personne ne leur parlait de Moro-Naba, de Soundjata, de Mohamadou Bello, d'El Hadj Omar ou de Samori. Ils n'apprenaient pas l'existence des royaumes des Bambara, des Wolofs ou de Bénin [Hama 1972]. Les premiers gradués des écoles coloniales essaieront de combler cette lacune, en recréant le passé de leurs peuples dans des monographies et des textes littéraires, dont nous avons plusieurs exemples en Afrique francophone à partir des années 30 du 20e siècle.

Plusieurs écrivains, aussi bien francophones qu'anglophones, se plaignent de l'interdiction de parler les langues africaines à l'école. Dans les écoles françaises, un élève surpris à parler sa langue d'origine était généralement puni par le port obligatoire du "symbole" qui le distinguait des autres. La forme du "symbole" variait d'une école à l'autre, et pouvait consister par exemple en une plaque de carton portant une inscription appropriée, mais pouvait tout aussi bien prendre la forme d'une boîte de conserve vide. Pour s'en débarrasser, l'enfant puni devait surprendre un autre élève coupable de la même infraction. Apparemment anodine, cette punition avait une grande importance psychologique. Elle augmentait le sentiment d'aliénation que sentaient souvent les élèves, rendait leurs relations mutuelles plus difficiles, et tendait à briser leur solidarité.

Dans l'image de l'école que nous livrent les textes littéraires, l'application de punitions de toutes sortes, y compris les punitions corporelles, est à l'ordre du jour. Les écrivains évoquent d'une manière très critique les relations entre les élèves et les instituteurs non seulement dans les écoles où enseignaient les Européens, mais aussi là où l'enseignement était pris en charge par les cadres africains. Camara Laye, dans L'Enfant noir (1953), décrit le système qui s'était instauré dans l'école primaire fréquentée par le narrateur. Il était basé, d'une part, sur les punitions infligées par l'instituteur, et d'autre part sur la domination des élèves des classes supérieures que le directeur de l'école chargeait de surveiller les autres, plus petits, ce qui créait un système d'exploitation, où les plus jeunes devaient payer pour neutraliser les plus grands. Dans le cas décrit par Camara Laye, une bastonnade infligée par le père du narrateur au directeur et au plus actif des élèves mit fin à ces pratiques.

Critique du système scolaire

Les écrivains de la première génération mettaient rarement en question les intentions des autorités coloniales qui présidaient à l'établissement du système scolaire. L'idée que ce système avait pour but non pas la promotion du savoir, mais la formation des cadres indispensables à la gestion des colonies, même si les Européens, persuadés de leur supériorité culturelle, croyaient que l'enseignement leur permettrait de "civiliser" les Africains, apparaît, clairement formulée, dans la période post-coloniale. Il arrive alors que les écrivains mettent dans la bouche des personnages blancs des propos qui dévoilent (ou cachent mal) leurs véritables priorités. Ainsi, dans L'Odyssée de Mongou de Pierre Samy (1977) le commandant local fait venir des enfants qui, apeurés, ne savent pas ce qui les attend:

- Mes enfants, n'ayez pas peur, nous dit-il, en hachant les mots. Je ne vais pas vous manger, ni vous arracher à votre famille. Je veux faire de vous des hommes meilleurs que vos pères, que vos aînés. Je vous offre la porte du paradis et vous ne voulez pas y entrer? c'est dommage! Enfin, malgré vous, je ferai de vous des hommes heureux, des hommes civilisés. Demain vous serez des auxiliaires de l'administration et Limanguiagna ne sera plus le pays des sauvages [Sammy 1977; cité d'après Chevrier 1987: 96].

Le même commandant formule sans ambages ses attentes envers l'école lorsqu'il s'adresse à l'instituteur européen fraîchement débarqué en Afrique:

- [...] Il me faut des auxiliaires, des gens qui servent d'intermédiaires entre nous et la population. Apprenez-leur des choses empruntées à leur milieu, à leur vie. Pas de grandes théories, surtout pas de philosophie. Ce ne sont pas hommes de tête qu'il nous faut, mais des hommes de main. Qu'ils nous servent sans poser de questions et qu'ils obéissent avant de comprendre [ibidem: 97].

Quelles que soient les intentions des autorités coloniales, le savoir acquis à l'école est généralement hautement apprécié aussi bien par les auteurs que par les personnages littéraires qu'ils créent. Des différences considérables se font sentir lorsqu'il s'agit de mesurer les conséquences de l'enseignement. Souvent, les auteurs mettent l'accent sur l'aliénation subie par les élèves, inhérente au système scolaire colonial. Le savoir acquis à l'école et celui qu'ils assimilaient dans leur milieu familial, aussi bien que les normes de comportement, étaient totalement incompatibles. Plusieurs auteurs insistent sur le déchirement qui en découle [p.ex. Hama 1972; Camara 1953; Selormey 1964].

Certains romanciers semblent croire que le déracinement des jeunes avait également un effet positif, car il provoquait les élèves à adopter une attitude critique envers les éléments de la tradition que les auteurs eux-mêmes jugeaient négativement. L'un des premiers écrivains qui s'inscrivent dans cette lignée est Mongo Beti. Dans Mission terminée (1957), son jeune héros, Jean-Marie Medza, quitte l'école après avoir raté l'examen final. Il retourne dans son milieu familial. Malgré son échec, il est entouré de l'aura d'une personne bien instruite, et il doit à ce prestige la mission de récupérer la femme d'un cousin, que lui confie sa famille. Dans un village situé au fin fond de la brousse, il se heurte à une réalité à laquelle l'école ne l'a pas du tout préparé. Dans la compagnie des jeunes gens de son âge il découvre la boisson, le sexe, devient conscient des effets négatifs de la gérontocratie traditionnelle, dénaturée par la réalité coloniale. Il mûrit à la révolte qui l'opposera à son père et lui fera quitter sa maison. Insuffisamment instruit pour trouver un travail dans l'administration, et révolté contre la tradition, il contribuera à la formation de la nouvelle marge sociale, qui plus tard trouvera sa place dans la lutte pour l'indépendance. Le même type de personnage sera représenté par Kris dans Le Roi miraculé (1958).

La plupart des écrivains réagissent pourtant avec véhémence contre les tentatives d'anéantir chez les élèves les liens qui les rattachent à leur culture d'origine. Cette critique est dirigée surtout contre les écoles menées par les missionnaires qui, dans plusieurs régions, étaient les seuls établissements scolaires accessibles. Le rejet des croyances et des moeurs ancestrales y était souvent considéré comme condition préalable de l'accès à l'enseignement. L'un des écrivains qui, dans leur oeuvre, ont donné libre cours à une critique acerbe de ce phénomène, est James Ngugi (Ngugi wa Thiong'o). L'action de son roman The River Between (1965) est située au Kenya des années 1930-1940. Chege décide d'envoyer son fils Waiyaki à l'école des missionnaires pour qu'il dérobe les secrets des Blancs, et pour qu'il apprenne à défendre son peuple contre eux. Il croit que son fils sera le sauveur de son peuple, le messie dont l'apparition avait été prédite par le visionnaire Mugo wa Kibiro avant sa mort (originairement, le roman devait s'intituler The Black Messiah). Le livre se concentre sur les conflits qui opposent les partisans de la nouvelle religion et les tenants des croyances traditionnelles. Après la mort d'une fille, provoquée par l'excision à laquelle elle se soumit malgré l'interdiction de son père, le missionnaire qui dirige l'école décide que désormais seuls les chrétiens y seront admis. Waiyaki, qui ne veut pas abandonner la religion de ses ancêtres, est obligé d'interrompre ses études après avoir subi le rite d'initiation traditionnel. Il décide d'engager une lutte pour la formation d'écoles laïques, où les jeunes pourraient s'instruire indépendamment de leur religion, et où l'instruction n'entraînerait pas automatiquement le rejet de la tradition. Il gagne la sympathie d'une partie des jeunes gens, mais s'attire la haine du vieillard qui dirige le conseil des anciens, et tombe victime de ses machinations. Ngugi fait de Waiyaki le pionnier d'un mouvement qui jouissait d'une certaine popularité parmi les Kikuyu. Tout en appréciant le savoir des Européens, ses partisans ne voulaient pas renoncer à leurs traditions. Dans Daughter of Mumbi de Charity Waciuma, un des personnages dit:

Les colons [...] veulent prendre tout le pouvoir et faire du Kenya un pays de Blancs au milieu de l'Afrique. Nous ne pourrons faire valoir nos droits que si nous sommes instruits. L'homme blanc pense qu'il nous est supérieur, mais il est seulement mieux instruit. Ses missionnaires donnent un certain degré d'instruction. Si quelqu'un est très doué, et décroche un diplôme d'enseignement supérieur, que fait le gouvernement? Il lui donne un poste d'employer subalterne, à peine supérieur à celui du messager qui n'a pas fait l'école. Ils iront jusqu'à lui imposer la façon de s'habiller, car ils auront peur que quelqu'un qui s'habille comme eux pourrait penser qu'il leur est égal [Waciuma s.d.: 88].

Cette attitude qui consiste à reconnaître la valeur de l'enseignement, et à rejeter le système scolaire en même temps, se retrouve chez d'autres écrivains. Elle est parfois doublée d'une idéologie plus ou moins utopique, comme chez Ayi Kwei Armah, qui dans Why Are We So Blest? s'attaque non seulement au contenu de l'enseignement dispensé dans les écoles, mais aussi au système de bourses qui permet de continuer leurs études seulement à ceux qui sont les plus déracinés, les plus éloignés de leur peuple. Les bourses sont pour lui un nouvel instrument du colonialisme, et leur but est de perpétuer la domination raciale. Modin, l'étudiant africain à qui une telle bourse fut octroyée, note dans son journal:

Le savoir sur le monde dans lequel nous vivons appartient aux étrangers, car les étrangers nous ont conquis. La soif du savoir est donc pervertie et se change en désir d'approcher les étrangers, d'abandonner son propre «moi». Conséquence: solitude comme style de vie.

Cette solitude est le lot inévitable de l'Africain qui s'assimile à la structure impériale. A cause de la façon de laquelle l'information est distribuée dans toute la structure - haut niveau d'information au centre, bas sur la périphérie - une vision claire de l'ensemble ne peut être potentiellement obtenue que de la hauteur du centre. La tâche qui incombe aux structures périphériques est celle de transmettre des informations de peu de portée, négatives ou mystifiées.

Le choix est clair. Ceux qui restent sur la périphérie ne sont pas solitaires. Ils sont en contact avec leur maison, ils ne sont pas coupés. Mais le prix qu'ils doivent payer pour ne pas être séparés des leurs est de subir les formes les plus brutales de manipulation, de mystification, d'ignorance planifiée.

Ceux qui se déplacent de la périphérie vers le centre peuvent nourrir l'espoir d'éviter cette manipulation primitive. Mais le prix qu'ils payent, c'est la solitude, la séparation de leur peuple, la nécessité de s'adapter constamment à ce qui est étranger, excentrique par rapport au moi. Tout cela est dû à la structure des mécanismes de l'acquisition du savoir, et n'est pas lié intrinsèquement au processus d'acquisition du savoir [Armah 1974: 32-33].

Le système ainsi conçu, toujours selon Modin, forme de nouveaux négriers qui vendent les Africains aux Européens. Seule la forme a changé, et le paiement se fait en avance. La nouvelle élite, déracinée, défendra ses privilèges et constituera un allié sûr des étrangers.

Moses Isegawa, dans The Abissynian Chronicles, représente une attitude de révolte basée sur des valeurs radicalement différentes. La vision sarcastique que nous trouvons dans son roman ressemble pourtant étonnamment à la critique de l'enseignement exprimée par Modin, chez A.K. Armah:

Au coeur de l'autocratie, dans le langage du peuple connu plus largement sous le nom de séminaire, se lovait le serpent à trois têtes venimeuses: le lavage de cerveaux, la conscience divisée, et la bonne, vieille dictature [qui ressemble à celle que le narrateur a connu à la maison; J.K.]. Ces trois têtes collaboraient comme une Trinité Diabolique; l'inculcation d'idées nouvelles avait pour but de détruire toutes les connection entre la pensée, les sentiments et les actions des élèves, et donner comme résultat des êtres malléables dont le clergé, qui était à la tête du système, pourrait ensuite bien user [Isegawa 2000: 221].

Bien que l'action du livre se situe à l'époque postcoloniale, les relations décrites par le narrateur ne diffèrent pas essentiellement de celles qui caractérisaient les écoles de l'époque précedente; ce qui distingue ce livre, c'est plutôt le recul envers la réalité décrite que prend le narrateur, et le langage à travers lequel s'exprime sa révolte. Pourtant, loin de l'attitude idéaliste d'Armah, sa révolte exprime surtout un désir d'autoaffirmation et une soif inassouvie de la vie.

Ces attitudes extrêmes sont pourtant loin d'être générales. Dans la plupart des textes, malgré différentes notes critiques, on trouve une vision plus équilibrée des défauts de l'enseignement colonial, et des avantages qui en découlent.

 

Conclusion

Comme on peut le voir, les témoignages littéraires montrent à quel point la population africaine était partagée face à l'école du type européen, depuis son implantation. Si la tendance à préserver l'ordre du monde tel qu'il était conçu dans la tradition est très présente au départ, elle est obligée de s'incliner devant des phénomènes qui minent les sociétés traditionnelles de l'intérieur. Le pouvoir coercitif du pouvoir colonial, aidé par les opportunistes qui très tôt trouvent une place lucrative auprès de lui, modifient la relation entre le pouvoir traditionnel et la société. Ceux qui, convaincus du pouvoir des Européens, décident de s'y associer, en étudiant leurs secrets, ceux qui sont attirés par le christianisme et suivent l'enseignement des écoles missionnaires, ceux qui cherchent une place dans la réalité qui change, et ne voient pas d'autre issue que d'assimiler le savoir des Blancs, se trouvent vite confrontés à un conflit de générations inévitable, et contribuent à la transformation les mentalités. Si on y ajoute ceux qui, au départ, étaient censés intercepter le savoir des Européens pour mieux se défendre contre eux, et qui ont été emportés par le courant, ceux qui étaient attirés par l'ouverture au monde que leur offrait l'enseignement, et ceux qui y cherchaient la clé de leur succès personnel et étaient attirés par la perspective de satisfaire leurs besoins matériels, nous voyons quel devait être l'impact de l'école, déjà à l'époque coloniale. Il possible de voir aussi que l'enseignement - tel que nous le voyons à travers les textes littéraires - n'avait pas que des effets positifs. Dans la gamme des aspirations que les jeunes voulaient satisfaire en allant à l'école, les aspirations matérielles, difficiles à réaliser dans des sociétés à faibles revenus, jouait un rôle extrêmement important et potentiellement dévastateur. Le prestige de l'école, que l'on peut constater déjà à l'époque coloniale, devait encore grandir au cours de la première décennie après l'indépendance, lorsque les postes occupés jusque là par des Européens sont devenus accessibles aux Africains. Dans les années 70. pourtant, il est possible de voir un revirement de la situation. Les débouchés offerts aux jeunes gens ayant obtenus un diplôme se font rares, et les textes littéraires tels que Kill Me Quick de Meja Mwangi (1973), The Slums de Thomas Akare (1981) ou En attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma (1998) insistent sur le fait que les écoles forment une nouvelle marge de la société, privée de toute perspective, poussée vers la délinquance ou vers la révolte.

© Janusz Krzywicki (Varsovie, Pologne)


CITES

(1) Elles étaient souvent précédées par les écoles créées par des missionnaires. On peut noter ici l'activité de Church Missionary Society, qui déjà au début du 19e siècle a organisé l'enseignement dans les centres de resettlement, où on installait les anciens esclaves, ramenés d'Angleterre ou libérés des bateaux négriers. On lui doit entre autres la première école supérieure de l'Afrique de l'Ouest (Fourah Bay College), fondée en 1827 en Sierra Leone.

(2) Les Français eurent l'idée de recruter dans ces écoles les fils des chefs traditionnels, dans l'espoir qu'ils pourraient servir d'intermédiaires entre le pouvoir colonial et la population.

(3) Ce phénomène est illustré par plusieurs textes, dont on peut citer ici, à titre d'exemples, Cette Afrique-là de Jean Ikellé-Matiba (Cameroun, 1963) et Les Soleils des indépendances d'Ahmadou Kourouma (1968). Chez Ikellé-Matiba pourtant, les tensions entre les nouveaux tenants du pouvoir local et la population résultent moins de l'éducation reçue par la nouvelle élite locale que du mauvais choix de collaborateurs fait par les Français.

(4) Mpoto: Europe.

(5) Ngalien: chef des Bangoulou, ethnie de la mère du narrateur dont le père est Européen.


RÉFÉRENCES

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1.4. The image of the "Other" in the contacts of Europe, Asia, Africa and America

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For quotation purposes:
Janusz Krzywicki (Varsovie, Pologne): Perception de l'école occidentale dans la littérature africaine. In: TRANS. Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 15/2003. WWW: http://www.inst.at/trans/15Nr/01_4/krzywicki15.htm

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