TRANS Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 17. Nr.
Februar 2010

Sektion 7.4.

Kommunikation von Innovationen! Innovation von Kommunikation? | Communication of Innovation! Innovation of Communication?
Sektionsleiter | Section Chair: Klaus M. Bernsau (Wiesbaden)

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Loi et Sémiotique de la Traduction.
Le cas des enseignes commerciales dans la langue française en Grèce

Evangelos Kourdis (Université Aristote de Thessalonique) [BIO]

ekourdis@frl.auth.gr

Abstract

The Greek law imposes that all commercial names in foreign languages must be translated in Greek. More specifically, the Greek law imposes the genre of translation (interlingual translation in which the target language is Greek or transliteration in Greek) and the size that the translating commercial name must have in Greek. This paper examines the influence of Greek law in the compulsory phenomenon of translation. This fact has a double dimension: first of all, the law using translation aims to protect the rights of Greek citizens to read the commercial name in their country in their own language. Secondly, this measure connotes the desire of the Greek State to protect its language, for which Greeks are very proud of, from the linguistic hegemony of other languages, especially English, and to protect the purism of their language. Despite this, merchants seem to avoid the application of the law and the use of its translation in Greek commercial names (if their main commercial name is in another language other than Greek) because they are afraid that a Greek commercial name does not connote the promotion of modern and high quality goods and facilities in the Greek market. On the contrary, it seems to prefer the use of English, secondly French and sometimes the Balkan languages, in their commercial shops, depending of the nationality of their clients. This paper examines the relation between this semiotic triangle (law, translation, the Greek market) aiming through a socio-semiotic research to approach the Greek reality in Thessaloniki in order to study the language ideology about the social aspect of this translation phenomenon.

 

1. Introduction: le cadre législatif

La traduction ne se limite pas toujours au niveau linguistique mais pénètre dans la vie quotidienne d’un peuple, fait qui donne à la traduction une dimension sociale et culturelle particulièrement liée à une communication interlinguale sans obstacles. Le problème de traduire ou non une enseigne commerciale dans la langue du pays d’accueil n’apparaît pas seulement en Grèce(1). Il concerne le respect que doivent avoir les entreprises envers le pays qui les accueille et cela peut se faire à travers l’élément le plus important, celui de la langue. Ainsi, en France, la proposition de loi complétant la loi no 94-665 du 4 août 1994, relative à l’emploi de la langue française, prévoyait que :

«Toute inscription en langue étrangère sur une enseigne ou devanture d’un local commercial doit comporter une traduction en langue française de taille équivalente ».   

La législation hellénique impose avec la loi 2946/2001, article 6, l’utilisation de la langue grecque dans les inscriptions sur les enseignes des locaux commerciaux, placées d’habitude sur la façade. Elle permet aussi l’inscription dans une langue étrangère, mais de taille plus petite que celle en grec. Cette inscription supplémentaire a à faire avec la traduction et elle a en Grèce le plus souvent la forme de la traduction interlinguale, du grec vers une autre langue naturelle (illustration 1) ou de la translittération, transcription du message en caractères grecs (illustration 2). Cette loi sur les inscriptions des enseignes à l’extérieur des locaux commerciaux mentionne :

« La publicité à l’extérieur des locaux publics et privés constitue une méthode de diffusion des messages avec des caractères suffisamment formalisés et se distingue de la publicité, d’une part, des journaux et des revues (publicité de presse) et, de l’autre, de la radio et de la télévision (publicité électronique)… Pourtant, se posent des questions en ce qui concerne la protection de la liberté d’expression et de la liberté économique. L’appréciation équilibrée de ces biens en termes actuels exige un cadre législatif organisé de la part de l’Etat ».

 

Illustration 1: Example de traduction interlinguale Illustration 2: Example de tanslittération

.

On doit souligner que la loi 2946/2001 permet dans l’enseigne commerciale l’utilisation de n’importe quelle langue étrangère si l’adresse, le caractère, l’activité, le nom du commerçant ne sont pas inscrits. De plus, le paragraphe 2 de l’article 6 de cette loi prévoit que la violation des dispositions est punie d’une amende (de 587 jusqu’à 5.865 euros) déposée à la municipalité ou à la collectivité. La loi 2946/2001 a remplacé la loi 1491/1984, la loi précédente, intitulée «Mesures qui facilitent la circulation des idées, le lancement de la publicité commerciale, le renforcement de la décentralisation etc.», qui prévoyait dans le paragraphe 5 de l’article 5 que :

« Les enseignes des entreprises commerciales et des magasins sont écrites en grec ».

L’alinéa b de cette même loi de 1984 permettait une inscription complémentaire dans une langue étrangère, mais la loi ne précisait pas si la taille de cette inscription devait être équivalente ou plus petite que celle de l’inscription en grec. Mais, l’apparition du terme «complémentaire» connote que le législateur en 1984 voulait éviter que l’inscription dans une langue étrangère ait la même dimension que celle en grec.(2)

De toute façon, la circulaire du Ministère de l’Intérieure no 20/20135/2001 intitulée «Précisions concernant l’obligation d’avoir des inscriptions en grec dans les enseignes» prévoit que la traduction des enseignes étrangères n’a pas le caractère de la traduction obligatoire ou de l’adaptation des caractères latins aux caractères grecs. Mais ce qui est obligatoire c’est l’inscription en caractères grecs, de taille plus grande, de l’activité de l’entreprise, par exemple : Banque Eurobank, Jouets Jumbo, Automobiles Audi. D’autre part, il y a ceux qui soutiennent que la liberté de la publicité est fondée sur l’article 14 de la Constitution Hellénique qui protège l’expression et la libre diffusion des idées (Chrysogonos, 1996 :530) protégée aussi par l’article 10 de la Convention Européenne pour la Protection des droits de l’homme.

Il est à remarquer le cas du recours en justice d’un commerçant d’Athènes contre la décision de la Ville d’Athènes selon laquelle la Ville a fait enlever l’enseigne en langue étrangère de son magasin parce qu’il n’y avait pas à coté une inscription en grec. La cour de justice (décision 4143/2004 du Tribunal de Première Instance d’Athènes) a lié l’enseigne en grec à des raisons culturelles et à la protection de la langue grecque en soutenant que :

« L’obligation des commerçants d’utiliser des enseignes publicitaires,  représentatives de leurs activités en grec, vise un but culturel de grand intérêt national, lié à la protection de la langue grecque ».

Il est à remarquer aussi que pendant la période de la dictature en Grèce (1967-1974) l’enseigne commerciale en langue étrangère était défendue par la loi, fait qui a été attribué par les linguistes au nationalisme linguistique et à la purification de la langue. Aujourd’hui, la Grèce faisant partie de l’Union Européenne plurilingue, sa législation n’impose plus l’usage exclusif du grec dans les enseignes des locaux commerciaux, sans, toutefois, accepter les seules inscriptions en langue étrangère, dans l’objectif de soutenir la langue grecque et lui assurer sa place dans le plurilinguisme européen. Ainsi, les medias grecs ont présenté des cas où des commerçants ont été traduits en justice parce qu’ils n’appliquaient pas la loi et qu’ils utilisaient dans leurs locaux commerciaux des enseignes en langues étrangères, sans utiliser la langue grecque(3).

 

2. Le cadre idéologique de l’utilisation des enseignes en langues étrangères en Grèce

Selon Berman (1984:16) toutes les cultures résistent à la traduction malgré qu’elle l’ait besoin. Dans notre cas, il y a pourtant le paradoxe que la ‘’culture étatique’’ impose la traduction dans son effort d’enraciner la domination de la langue grecque. D’habitude, la traduction vers les ‘’langues faibles’’ est renforcée et soutenue par des institutions comme l’Union Européenne, dans notre cas, est imposée par l’état hellénique même, mais qui donne en même temps au commerçant la possibilité  de choisir le procédé qui a envie en ce qui concerne la traduction (traduction littérale, translittération, adaptation, etc.)

Depuis des siècles il y a un lien étroit entre la langue et l’identité nationale prenant des formes diverses dans des sociétés différentes. Fragoudaki (1999:77) souligne que de temps en temps, dans les états-nations modernes se reproduit la prédiction funeste de la disparition de la langue nationale à cause des emprunts linguistiques étrangers qui y pénètrent. Il y a aussi le point de vue qui soutient que les emprunts linguistiques étrangers peuvent altérer l’unité de la langue et menacent la privation de l’identité nationale. Marley (1993) mentionne que la loyauté linguistique peut être forte, quand la langue se montre en menace et que la langue peut devenir un symbole de l’identité du groupe, malgré que dans le passé n’en a pas été comme valeur culturelle. Spécialement pour les Grecs qui ont leur langue comme valeur culturelle principale et c’est pour cela qui maintiennent leur langue aussi dans un entourage de dispersion, en l’utilisant comme moyen de défense contre l’assimilation (Kostoula-Makraki, 2001:103).

L’utilisation des enseignes en langue étrangère en Grèce a le caractère paradoxal suivant: les enseignes s’adressent au pouvoir d’achat d’un pays à travers une langue qui lui est officiellement et institutionnellement étrangère. On peut classifier les enseignes publicitaires en deux catégories : dans la première catégorie, on a les langues de l’Europe de l’ouest, et surtout l’anglais, le français et l’italien, et dans la deuxième catégorie, les langues balkaniques, les langues de l’Europe de l’Est, comme le serbe, le bulgare, mais aussi le russe. Dans le premier cas, l’utilisation de la langue étrangère connote la qualité européenne (pour préciser, la qualité occidentale), puisque ce sont des langues de haut prestige linguistique qui représentent des pays réputés pour leur industrie. Dans l’autre cas, il y a la connotation des entreprises, du gain touristique et commercial. L’objectif commun dans les deux cas reste l’attraction du pouvoir d’achat, le profit.

Ce phénomène a été lié à des facteurs divers comme la xénomanie des Grecs, la peur de la latinisation (Moschonas 2001a :1), le pouvoir d’achat visé, le courant touristique des pays étrangers qui est particulièrement grand en Grèce, la volonté de différenciation et d’amélioration qualitative des services  et des produits offerts par les commerçants. Anastasiadi-Symeonidi (1994:129-130) mentionne qu’un produit qui a, selon le cas, une appellation en anglais ou en français porte les connotations que la société neo-hellénique a fixées pour la France, l’Angleterre ou les Etats-Unis. Elle ajoute aussi que le locuteur qui utilise une telle appellation obtient le prestige qui accompagne ce pays.

Hidiroglou (1996:124), examinant le phénomène des appellations étrangères des bâtiments en Grèce, trouve que le nombre de ces bâtiments est particulièrement élevé, surtout dans les bâtiments qui appartiennent à la catégorie des services (magasins, installations touristiques). En plus, elle relève que l’appellation étrangère, qui présuppose la connaissance d’une langue étrangère et non seulement la connaissance de l’alphabet latin, peut être considérée comme indice de discrimination sociale.

En tout cas, ces dernières années, les associations de commerçants essayent de supprimer les dispositions concernant l’obligation des entreprises de traduire ou de transposer en grec leurs enseignes en langue étrangère soutenant que les enseignes ne sont pas une publicité, mais des inscriptions extérieures informant sur la nature de l’entreprise (Association Centrale des Chambres de Grèce, 2007:5-6). En plus, ils évoquent le coût élevé de l’adaptation aux dispositions de la loi, mais aussi les problèmes techniques qui ont surgi comme ceux du changement de la dimension des enseignes.

En même temps, il y a ceux qui soutiennent que la loi poursuit et punie seulement les propriétaires Grecs des entreprises petites moyennes et pas les grands trusts étrangers (Moschonas, 2001α:2). Il y a aussi des Grecs qui sont davantage inquiétés par le nombre et la grande taille des enseignes en langue étrangère à cause d’un résultat esthétique douteux plutôt que par la présence même de la langue étrangère. Ainsi, Liakos (2001:Β08) remarque que les propriétaires des boucheries, connaissant la fonction symbolique d’une langue, utilisent le grec et non le français pour gagner la confiance des clients, évidement parce que dans ce métier la connotation de la qualité concerne l’origine de la viande (connotation de localité pour la viande parce que la viande grecque est considérée, en Grèce, comme de qualité supérieure). Par contre, toujours selon Liakos, d’autres commerçants utilisent l’italien pour sous-entendre l’originalité du design italien ou des goûts italiens, tandis que d’autres utilisent les symboles américains (l’anglais) parce qu’ils vendent le rêve de l’Amérique.

 

3. La traduction interlinguale des enseignes commerciales

Notre enquête a été orientée vers la quête d'appellations commerciales en langue française dans la ville de Thessalonique. De l'échantillon des 47 enseignes commerciales que nous avons réunies à titre indicatif, nous observons que la langue française est utilisée dans les inscriptions en langue étrangère sur le marché de Thessalonique, n’ayant pas bien sûr la fréquence de l'anglais. Pourtant, nous pouvons dire qu'elle est la deuxième langue étrangère en fréquence, après l'anglais, que les commerçants de Thessalonique préfèrent et utilisent dans les inscriptions de leurs établissements.

De plus, nous constatons que les champs thématiques (champs sémantiques) où ils sont catégorisés ces appellations sont ceux de la mode (l'habillement, la chaussure, la coiffure), des loisirs et de l'alimentation, champs thématiques qui sont caractérisés comme vocabulaires spéciaux où nous rencontrons un grand nombre d'emprunts français (Anastasiadi-Symeonidi, 1994:115-123). Il s'agit d'établissements commerciaux qui sont catégorisés dans le secteur central de la vie sociale et non dans celui de la science et de la technologie et qui portent encore le sceau de l'origine française (ibid., 1994:124). C’est peut-être aussi la raison que, presque toujours, l'appellation francophone commerciale de l'établissement est accompagnée d’une traduction en langue grecque, phénomène plus rare dans les inscriptions des établissements commerciaux qui utilisent pour leur appellation la langue anglaise, peut-être parce qu'elle est considérée comme plus reconnaissable de nos jours par les Grecs.

Concernant la procédure de traduction qui est suivie nous pouvons avancer la catégorisation suivante :

  1. inscriptions sur des enseignes commerciales traduites par translittération en langue grecque, par exemple, "Garage" (français) →  "γκαράζ" (grec) [garaz]
  2. inscriptions sur des enseignes commerciales traduites par translittération en langue grecque, mais où il y a omission, par exemple, "Chez Magdalene" (français) →  "Μαγδαλεν" (grec) [magdalen]
  3. inscriptions sur des enseignes commerciales traduites par traduction littérale en langue grecque, par exemple, "Bon gout" (français) →  "ωραίο γούστο" (grec) [oreo gousto].

Il est à souligner que selon la procédure de traduction les connaisseurs de la langue française remarquent quelques "erreurs". Et ceci parce que tant la traduction du texte source (texte français) que du texte cible (texte grec) se fait habituellement, non par des personnes qui ont le français en tant que langue maternelle ou connaissent bien la langue française, mais par des Grecs (les commerçants mêmes parfois) qui ont une certaine connaissance du français, souvent insuffisante. Rarement l'erreur, soit dans le texte français, soit dans le texte grec, constitue à bon escient un choix conscient pour la création de palimpseste verbo-culturel (Galisson, 1995:105), une technique qui est particulièrement attirante dans le monde de la publicité.

Ces erreurs sont catégorisées comme:

  1. inscriptions sur des enseignes commerciales écrites avec une erreur orthographique, par exemple l'enseigne du magasin de vêtements "Bizzare". Le mot "Bizzare ", même s'il a été translittéré en langue grecque par "Μπιζάρ", en français ça s’écrit "bizarre". Dans le même cas appartient aussi l'appellation commerciale de la bijouterie "Le beau", laquelle même s’il' est traduit littéralement en grec "le beau", néanmoins en français n'existe pas le cas d'accompagner un article définitif un adjectif sans son substantif. Evidement, il s’agit d’une interférence lexicale par la langue grecque, parce que ce phénomène se rencontre en grec.
  2. inscriptions sur des enseignes commerciales écrites en français, mais leur translittération en grec représente la réalisation sonore de la langue française. Ainsi, l'enseigne commerciale de la cafétéria "Petit Palais", n'est pas donné en tant que "πετι παλαι" [peti pale ], mais en tant que "πτι παλαι" [pti pale].
  3. inscriptions sur des enseignes commerciales écrites en français, mais leur translittération en grec inclut un écart phonétique. Par exemple, le cas de la rôtisserie sous l'appellation "Appetit" (où la transcription en langue grecque ne suit pas les règles phonétiques du français qui fixent que ce mot est prononcé "απετί" [apeti]) translittérée en grec "απετιτ" [apetit]

 

Nature du magasin

Inscription en français

Traduction en grec

Type de Traduction

Adresse

Magasin de vêtements

Garage

Γκαράζ [garaz]

Translittération en grec

13, rue Μarkou Botsari

Magasin de vêtements

Bizzare

Μπιζάρ [bizar]

Translittération en grec

3, rue Agias Sofias

Cafétéria

Journal

Ζουρνάλ [jurnal]

Translittération en grec

1, rue Alexandou Svolou

Magasin de vêtements

Prive

Πριβέ [prive]

Translittération en grec

87, rue Egnatia

Bijouterie

Le beau

Το ωραίο [to oreo]

Traduction littérale

16, rue Ipodromiou

Magasin de vêtements

Avant Garde

Αβάν Γκάρντ [avan gard]

Translittération en grec

17, rue Dimitriou Gounari

Patisserie

Choco rêve

Σοκολατένιο όνειρο [sokolatenjo oniro]

Traduction en grec

7, rue Nikolaou Plastira

Magasin de chaussures

Elegante

Ελεγκάντ [elegant]

Translittération en grec

1, rue Martiou

Magasin de chaussures

Bon gout

Ωραίο γούστο [oreo gusto]

Traduction littérale

90, rue Egnatia

Cafeteria

Petit Palais

Πτι Παλαί [pti pale]

Translittération en grec

6, rue Vosporou

Rotisserie

Appetit

Απετιτ [apetit]

Translittération en grec

14, rue Smirnis

Cafeteria

Renaissance

Ρενεσανς [renesans]

Translittération en grec

13, rue Melenikou

Café-bar

Noir

Νουάρ [nuar]

Translittération en grec

5, rue Melenikou

Café

Mon frere. Maison de café

--------------

Pas de traduction

111, rue Vassilissis Olgas

Magasin de vêtements

Le piéton

Ο πεζόδρομος [o pezodromos]

Traduction en grec

79, rue Komninon

Tableau 1: quelques exemples de traduction interlinguale

 

4. La dimension sémiotique des enseignes traduites

La loi hellénique impose que la taille de l'inscription en grec soit plus grande que celle de la langue étrangère, donc aussi des lettres, et cela a aussi sa sémiotique, parce que la taille des lettres inclut une importance supplémentaire qui a, au fond, une importance connotative (Cook, 2001:64). La taille des lettres avec leur forme, leur style et leur couleur, est porteuse de valeurs particulières et de connotations (Charaudeau 1991:56-57). Dans notre cas, à travers la plus grande taille de l'inscription en grec est connotée la primauté, le respect et l'importance de la langue grecque par le peuple grec. Il ne faut pas oublier que la langue grecque constitue pour les Grecs un élément culturel primordial.

De plus, parmi les 47 enseignes en langues étrangères que nous avons réuni seulement 36 sont écrites en lettres minuscules en français et en grec (équivalence de taille), 3 écrites en minuscule en langue française, mais avec des majuscules en grec (pas d’équivalence de taille), et 8 qui sont en majuscules tant en français qu'en grec (équivalence de taille). Bien sûr, l’écriture en majuscule est considérée plus directe, mais, d'autre part, celle en minuscules est considérée comme installant une relation plus personnelle. Ainsi, l'écriture en minuscule en français renforce l'élément artistique lorsqu'elle est utilisée dans les enseignes grecques et renforce la dimension esthétique du message commercial, revalorisant celles-ci au niveau de la connotation et rendant leur contenu attirant de différentes façons.

 

Français
Traduction en grec
Dimension graphique

GΑRΑZE (majuscules)

ΓΚΑΡΑΖ (majuscules)

Equivalence de taille

BIZZARE (majuscules)

ΜΠΙΖΑΡ (majuscules)

Equivalence de taille

JOURNAL (majuscules)

ΖΟΥΡΝΑΛ (majuscules)

La traduction grecque est en lettres plus petites que celle en langue étrangère et au coin de l’enseigne

PRIVE (majuscules)

ΠΡΙΒΕ (majuscules)

La traduction grecque est en lettres plus petites que celle en langue étrangère

Le beau (minuscules)

ΤΟ ΩΡΑΙΟ (majuscules)

Equivalence de taille

Avant Garde (minuscules)

ΑΒΑΝ ΓΚΑΡΝΤ (majuscules)

La traduction grecque est en lettres plus petites que celle en langue étrangère

Choco rêve (minuscules)

Σοκολατένιο όνειρο (minuscules)

La traduction grecque est en lettres plus petites que celle en langue étrangère

ELEGANTE (majuscules)

ΕΛΕΓΚΑΝΤ (majuscules)

La traduction grecque est en lettres plus petites que celle en langue étrangère

BON GOUT (majuscules)

ΩΡΑΙΟ ΓΟΥΣΤΟ (majuscules)

Equivalence de taille

Petit Palais (minuscules)

ΠΤΙ ΠΑΛΑΙ (majuscules)

La traduction grecque est en lettres plus grandes que celle en langue étrangère

Oh la la (minuscules)

Ο.λα. λα (minuscules)

Equivalence de taille

CHEZ MAGDALENE (majuscules)

ΜΑΓΔΑΛΕΝ (majuscules)

La traduction grecque est en lettres plus petites que celle en langue étrangère

Appetit (minuscules)

Απετιτ (minuscules)

La traduction grecque est en lettres plus petites que celle en langue étrangère

Renaissance (minuscules)

Ρενεσανς (minuscules)

Equivalence de taille

Noir (minuscules)

ΝΟΥΑΡ (majuscules)

La traduction grecque est en lettres plus petites que celle en langue étrangère

Tableau 2 : équivalence de taille

 

5. Quelques remarques en guise de conclusion

En ce qui concerne l'emploi de la langue française dans les enseignes commerciales, les conclusions principales de notre enquête sont les suivantes :

  1. Les connotations de la qualité et du travail raffiné résultant de l'emploi de la langue française restent fortes dans la société grecque, fait qui se retrouve dans le monde commercial du pays, en dépit de la prédominance hégémonique de la langue anglaise.
  2. Le recul linguistique du français en Grèce impose au monde commercial du pays de choisir avec une plus grande fréquence la traduction en français de l'enseigne commerciale, en comparaison avec la langue anglaise, qui est plus courante et familière dans la société grecque. Il vaut la peine sur ce point de répéter que la loi grecque n'exige pas la traduction de l'enseigne commerciale en langue étrangère, mais son attribution en caractères grecs.
  3. Le fait de la non obligation de traduire l'enseigne commerciale incite de nombreux commerçants Grecs à choisir, en tant que procédé de traduction, la transcription avec des caractères grecs (translittération) et non la traduction interlinguale. Nous croyons que la translittération avec des caractères grecs vise à la familiarisation de l'enseigne en langue étrangère sans que la langue étrangère perde ses connotations, puisque l’énoncé translittéré‘’oscille’’ entre les deux langues et en fait n’appartient à aucune (Messick, 2003 :178). De plus, la translittération suit des règles morpho-phonologiques sévèrement prédéterminées évitant ainsi l'aspect sensible de la ‘’critique’’, de l’évaluation que subit la traduction interlinguale (par exemple si la traduction est littérale, fidèle, ‘’bonne’’, etc.). En plus, étant donné que la translittération concerne d’habitude des concepts clés (Messick, 2003 :193), nous pouvons facilement comprendre que c’est un procédé de traduction préféré à cause aussi de la fonction ‘’clé’’ des enseignes commerciales pour attirer l’attention des clients.
  4. Le non respect de composantes sémiotiques de la publicité comme la taille et le type des lettres (lettres majuscules et minuscules) en grec dans l'enseigne commerciale traduite montre que le commerçant grec préfère risquer parfois des sanctions économiques pour son entreprise, plutôt que de perdre les connotations de qualité qu’a l’enseigne étrangère, et principalement, l'enseigne commerciale française. Ainsi, dans une recherche réalisée dans la ville de Veria par l’un de nos étudiants (Gioutikas, 2007:9) a montré que la majorité de cafés-bars de la ville qui utilisent des dénominations et des enseignes en langue étrangère viole la loi ayant en taille plus petite leur dénomination en grec et que la majorité des autres magasins commerciaux n’ont pas de traduction/attribution en grec, ayant leurs enseignes seulement en langue étrangère.
  5. Le fait que les enseignes choisies par les commerçants portent des connotations fortes montre que ces enseignes se caractérisent par une valeur ajoutée à leur signification. Elles constituent ainsi, pour les Grecs, des énoncés à charge culturelle partagée (Galisson 1991) acquise dans l’interaction sociale. 
  6.   f) Les enseignes des magasins commerciaux en langue étrangère omettent de mentionner ou de traduire l’activité du local commercial pour préciser si l’enseigne en langue étrangère se réfère à un café, une épicerie, un restaurant, etc., violant ainsi la circulaire du Ministère de l’Intérieur. Nous pouvons ainsi dire que s’il arrive qu’un propriétaire évite d’ajouter dans son enseigne en langue étrangère une inscription en grec, en revanche, il est particulièrement rare de trouver des enseignes commerciales révélant par la traduction l’activité du commerce en question. 

La mondialisation de la culture ne peut avoir lieu sans l'emploi d'une variété de moyens d’homogénéisation comme les techniques publicitaires et les langues hégémoniques (Venuti, 1998:462). Le cas des enseignes commerciales en français que nous avons examinées couvre les deux observations de Venuti sur la mondialisation de la culture. L'enseigne de l'entreprise commerciale utilise des langues hégémoniques, comme l'anglais et le français, et elle les utilise en tant que stratégies de publicité. Nous sommes d'accord, en tout cas, avec Cronin (2007:114) d’après lequel l'Etat qui souhaite le développement doit voir la traduction en tant que partie d'un projet ''local’’, ce qui, paradoxalement, dénonce son ethnocentrisme étroit si on reconnaît l'interdépendance indispensable et l'ouverture de la culture même. Cronin (ibid:121) remarque aussi que la traduction bilingue (anglais-grec) n'est pas suffisante et que la traduction polyglotte est un indice de maturité du marché hellénique. Une maturité qui promouvoit, d’après nous, la pluralité culturelle souhaitée par l’Union Européenne, mais pas toujours par chaque état.  

Références bibliographiques


Anmerkungen:

1 En Chine, par exemple, un avocat chinois a traduit en justice l’entreprise McDonalds, parce que la chaîne américaine utilisait dans ses quittances l’anglais et pas le chinois (Journal Simera sti Thessaloniki, 2/8/2007 :23).
2 Déjà, sur ce phénomène de la traduction obligatoire, dans la loi 2190/1920 intitulée «Sociétés Anonymes», il est clairement mentionné dans l’article 5, paragraphe 6, que le nom des Sociétés Anonymes Helléniques dans les échanges internationaux peut être attribué soit par traduction littérale de leur appellation grecque, soit par des caractères latins (translittération).

3 Un exemple représentatif est le cas de la Ville de Tyrnavos où sept propriétaires de cafés bars n’avaient leurs enseignes qu’en langue étrangère (Journal Elefterotypia, 30/7/1995). Le journal souligne que du jour au lendemain le «café galerie» a été appelé «Καφέ Γκαλερί» [kafe galeri], le bar «Bazaar» a été appelé «Μπαζάρ» [bazar], et que le propriétaire du café «O.K.» a essayé de convaincre de l’origine hellénique de cette acronymie [Ola Kala] qui signifie en grec « tout va bien ». Mais dans des villes plus grandes comme Thessaloniki, dix-neuf propriétaires de magasins ont été menacés d’amendes selon l’article 6, paragraphe 2 de la loi 2946/2001, un fait qui a provoqué la réaction du Président de l’Association des Commerçants de la ville (Journal Kathimerini, 7/10/2001). Mais, aussi, dans des endroits touristiques comme la ville de Canée en Crète où des commerçants ont eu des problèmes à cause de l’enseigne en langue étrangère de leur magasin (Ville de Canée, Extrait des actes du Conseil Municipal, 19/15-11-2004).


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