Trans Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 4. Nr. Juni 1998

Les néophilologies en Pologne face aux nouveaux défis

Piotr Salwa (Warszawa)

Les néophilologies en Pologne face aux nouveaux défis ... Avant d'aborder brièvement ces quelques aspects de la situation actuelle en Pologne - qui probablement ne diffèrent pas beaucoup, au moins dans les grandes lignes, de ce qui se produit dans certains autres pays de l'Europe Centrale - il me semble utile de préciser les contours du champ dont je vais parler, à savoir des néophilologies comme disciplines universitaires structurées encore - telle est l'actualité de mon pays - d'une manière bien traditionnelle: en général, elles comprennent des départements de langues et de littératures étrangères (aussi bien européennes que d'autres continents) divisées assez minutieusement selon leur "identité": une "anglistique" y figure à côté d'une "italianistique", une "turcologie" à côté d'une "japonistique". Sur le plan didactique, chaque département - ou presque - offre un programme d'études spécialisé et détaillé qui mène à la maîtrise; d'habitude ces programmes sont si chargés - surtout par les cours pratiques de la langue principale - qu'il est presque impossible d'en unir deux, ou du moins les étudiants n'y sont pas encouragés. Sur le plan de la recherche, souvent - en englobant les matières linguistiques et littéraires, historiques et théoriques - les départements néophilologiques souffrent, à l'intérieur, de ruptures assez profondes. On y pratique presque séparément - étant donné la spécialisation actuelle - la "Sprach- und Literaturwissenschaft" et le lien qui unit les deux factions n'est que purement formel. (Et je dois avouer tout-de-suite être personnellement un "littéraire" et non pas un linguiste, ce qui ne peut pas rester sans effet sur mes réflexions, ainsi que le fait d'etre italianisant qui m'impose un point de vue probablement trop eurocentrique). Ce qui peut surpendre est le fait que la philologie dans le sens classique n' existe presque pas, et n'a surement aucune position privilégiée. Liés à la tradition, ces départements ne deviennent pourtant pas encore départements de "cultural studies": on ne songe pas à y introduire des études sociales, économique et politiques d'une part, ni l'art, la musique, la philosophie, de l'autre.

Si tout ceci est sans aucun doute l'héritage de l'histoire des néophilologies polonaises pendant les dernières décennies - toute particulière et tout autre que facile -, l'effet d'une adaptation à la situation générale et la réponse aux besoins d'un moment, les changements survenus dans les dernières années exigeraient une nouvelle adaptation - perspective que les universités polonaises semblent envisager avec une certaine difficulté et une certaine longueur. Il n'est pas dans mon intention de parler ici des problèmes d'ordre général: certaines prémices et certains conditionnements restent - et resteront - les mêmes indépendamment des facteurs qui changent, quoique les proportions et les accents puissent varier. On se demandera toujours si la tâche principale d'un néophilologue consiste à etre l'émule des chercheurs du pays auquel il s'intéresse ou bien à etre plutôt l'ambassadeur et le divulgateur de cette culture dans son propre pays. Je ne veux pas non plus présenter une brève histoire de ma discipline en Pologne, ni encore moins faire de bilans. Par contre, je voudrais concentrer mon attention justement sur les variables qui en ce moment me paraissent les plus importantes, avec références générales et historiques seulement là ou elles me paraissent indispensables.

 

Considérées en bloc, les néophilologies polonaises ont connu, après la seconde guerre mondiale, un fort développement qui accompagnait le développement général du système de l'enseignement supérieur. Avant, elles avaient constitué de petites chaires avec le plus souvent un professeur et un assistant. Ce développement se caractérisait pourtant par de fortes pressions politiques. Les néophilologies n'étaient qu'un élément de la politique culturelle et même des affaires étrangères, entièrement soumises aux autorités centrales. Et tandis qu'on limitait l'intéret pour les cultures occidentales, avec lesquelles les Polonais se sentaient traditionnellement liés, mais qui étaient maintenant considérées hostiles en tant que capitalistes, on encourageait les études des cultures des pays slaves et du tiers monde. Aujourd'hui les pressions politiques n'existent plus, mais ce qui reste c'est un équilibre particulier ou plutôt un manque d'équilibre entre les départements plus grands et moins grands, qui seulement en partie correspondent aux intérets et aux besoins des étudiants et des chercheurs. Toutefois, cette situation ne se laisse pas facilement modifier: il est toujours plus facile de laisser le "statu quo" que de redimensioner un institut ou un département. D'ailleurs, aucun des départements n'est superflu et - avec le "numerus clausus" que les instituts maintiennent au même niveau, grâce à leur autonomie dans la situation d'une augmentation dynamique du nombre d'étudiants en général - on rejoint sans difficulté le nombre d'étudiants voulu et "planifié". Bien sur, il y a des instituts ou l'examen d'admission devient un concours difficile et d'autres ou ceci n'est qu'une formalité, mais cette réalité se traduit difficilement en mesures administratives concrètes. Il ne reste qu'à développer sensiblement ces "directions" qui semblent les plus recherchées: dans la situation d'une insuffisance permanente des financements publics, on fait alors recours aux lois de marché: dans les universités publiques naissent ainsi les formes d'études supérieures "à payment", à côté des formes traditionnelles qui sont financées entièrement par l'Etat. Celui qui réussit au concours d'admission peut arriver à la maîtrise sans payer, celui qui n'y réussit pas sera obligé de payer une taxe, et assez élevée, car, dans la totalité, ce n'est qu'une partie des étudiants qui payent - pour eux-memes et pour les autres. Evidemment le développement des formes d'enseignement payant - dont l'existence dépend du marché et qui n'existent donc pas partout - indique assez clairement les tendances et les intérets de ceux pour qui nous travaillons. La concurrence qu'elles font naître provoque pourtant des effets qui ne sont pas seulement d'ordre administratif et financier et qui s'expriment dans les changements d'attitude et de programmes d'enseignement. Je reviendrai encore sur ce sujet. Pour le moment, je voudrais signaler ce premier défi: la nécessité de créer - dans la situation des restrictions économiques - un équilibre adéquat parmi les différentes disciplines néophilologiques.

Un autre aspect de l'héritage auxquel nous devons faire front est constitué justement par le programme et en général par les modalités d'enseignement. L'enseignement universitaire en Pologne est encore structuré dans des programmes assez stricts, analogues par leur caractère aux programmes scolaires. Un étudiant est tenu, chaque année, à suivre des cours et des matières fixés, passer dans les délais prescrits des examens indiqués ... et s'il ne réussit pas, il doit recommencer l'année. Si, d'une part ceci me semble provoqué par le fait que pendant de longues années tous les programmes spécifiques aient été soumis à l'approbation du ministère de l'éducation, de l'autre il faut admettre que pour beaucoup ceci semble l'unique façon de travailler. Quand, il y a quelques années, dans une faculté de mon université on avait demandé aux étudiants s'ils préféraient suivre un programme préétabli par les autorités ou s'il préféraient choisir eux-mêmes les matières à suivre, seulement 10% avaient opté pour la liberté individuelle. Les étudiants sont divisés en années tout comme les élèves d'une école en classes. C'est vrai, il y a de plus en plus de matières facultatives, mais souvent elles sont encore considérées comme une espèce des matières complémentaires. Le système de ce genre, entré profondément dans les habitudes mentales, devait servir l'économie centralisée: un italianiste devait etre comme un ingénieur, spécialiste dont les qualifications pouvaient être facilement reconnues par l'Etat qui lui assignait un poste de travail. Les études universitaires étaient officiellement considérées comme analogues à un emploi, la tâche de l'étudiant consistant principalement, sinon uniquement, à terminer la maîtrise dans le délai prescrit et cette période comptait meme pour la retraite. Le problème du marché de travail ne se posait pas, ce qui n'ecourageait pas les attitudes pragmatiques: on se dédiait plus facilement à l'étude de la littérature du Moyen Age, quand, à la fin, on obtenait un diplôme qui, en fait, donnait le meme droit au travail que tout autre. Le ministère établissait le nombre - assez limité - d'étudiants à former chaque année dans chaque institut: ceux qui avaient la chance d'et re admis pouvaient compter sur un certain luxe: disponibilité des livres dans les bibliothèques, séminaires et cours de langues par petits groupes. En effet, le système tenait compte du fait qu'un étudiant de langues et littératures étrangères avait très peu de possibilités de connaître directement le pays dont il étudiait la culture. Les programmes mettaient alors un fort accent sur l'apprentissage pratique de la langue, et il faut admettre qu'on a réussi, sous cet aspect, à atteindre un niveau enviable. La meme logique présidait alors à la formation des bibliothèques universitaires: il était évident que les étudiants n'auraient pas la possibilité d'acheter des livres, on donnait donc la priorité aux manuels et aux livres de l'étudiant sur les monographies utiles pour les recherches. Aujourd'hui cet héritage - lui aussi - est devenu plutôt une charge qu'un avantage. Les programmes uniformes pour tous les étudiants et pour les "cursus" entiers - meme si formulés au niveau de la faculté - correspondent difficilement aux exigences du monde de travail actuel et aux attentes des étudiants. Ils ne tiennent pas compte du fait que tout le monde ne peut pas et ne veut pas suivre l'université au meme rythme et qu'il est plus avantageux d'interrompre un tel programme pour passer une période dans le pays dont on étudie la culture. Les contacts directs, les possibilités d'achat de livres, les télévisions étrangères captées par câble - tout ceci met en question aussi l'importance attribuée à l'enseignement pratique des langues à l'intérieur de l'université, qui consiste en même temps un poids considérable - organisateur et financier - pour les facultés. Le second défi consiste donc à modifier les modalités d'enseignement, mais d'une telle façon qu'on ne perde pas les acquis "positifs" du passé.

Evidemment, tout ceci déterminait également les possibilités de la recherche. Toutefois dans ce domaine, l'héritage me paraît moins lourd qu'ailleurs. On pourrait citer de nombreux exemples célèbres qui pourraient confirmer cette opinion de manière éclatante: autant des noms de collègues qui se sont fait connaître par la valeur de leurs études et de leurs travaux scientifiques. En fait, depuis assez longtemps en Pologne, le champ de la recherche restait plus ou moins libre des pressions politiques ou des interventions de l'Etat. Pourtant, il n'en est pas moins vrai que les difficultés de contacts, les bibliothèques lacuneuses, l'impossibilité d'"aggiornamento", la censure sur les publications en Pologne faisaient que les chercheurs polonais avait des difficultés "supplémentaires" dans l'émulation des collègues étrangers et pour entrer dans les échanges internationaux selon le principe d'égalité. On s'inclinait donc plutôt vers la voie alternative en se concentrant sur le rôle d'intermédiaire entre la culture "maternelle" (dans le cas polonais parfois difficilement accessible aux étrangers à cause d'une langue compliquée et peu répandue) et la culture dans laquelle on se spécialisait à l'université. Sans vouloir en faire un bilan, je voudrais pourtant souligner l'importance de cette tâche. Il me semble - et je parle aussi de ma propre expérience, car j'ai fait mes études universitaires dans les années 68-73 - que les départements néophilologiques aux universités étaient des centres importants où l'on diffusait non seulement la connaissance des cultures étrangcrès, mais aussi l'attachement à certaines valeurs que le systcme communiste essayait de nier. A mon avis l'on pourrat soutenir la thèse que les néophilologies ont eu un rôle - peut-etre modeste, mais toutefois incontestable - dans la préparation du climat qui a rendu possibles les changements qui ont eu lieu en Pologne et en Europe centrale dans la dernière période. Dans la perspective d'aujourd'hui, ce rôle officieux s'est révélé peut-être plus significatif que la fonction officielle de préparer les cadres pour l'économie nationale ... Il me semble donc que, dans ce domaine, le défi du moment semble peut-être moins téméraire qu'ailleurs, bien qu'on ne doive pas le négliger, car souvent les chercheurs polonais n'ont pas l'habitude de faire front à la concurrence selon les critères sévères de l'actualité.

La conscience d'une crise et de la nécessité de faire front aux nouveaux problèmes ainsi que le pressentiment des défis qui allaient nous attendre étaient répandus dans les milieux de néophilologie depuis un certain temps. En 198l, la Faculté de Lettres et Langues Etrangères de l'Université de Varsovie avait organisé un colloque avec un titre significatif (je traduis littéralement): "Comment etre aujourd'hui un néophilologue en Pologne?" Les Actes de ce colloque portent le témoignage des problèmes généraux qui se posaient en premier lieu à l'époque: on y a parlé d'un développement pas toujours rationnel, des aliénations (comment peut-on entrer dans une culture étrangère? est-ce que l'on peut se mesurer avec les collègues qui pratiquent la même langue comme langue maternelle?), de la littérature comparée (si chaque néophilologue est par force un comparatiste, en Pologne les recherches de littérature comparée ne sont pas institutionalisées), des mythes et des complexes nationaux (dont l'Europe Centrale ne manque surement pas), des grands et des petits qui réclament leurs droits, du dialogue avec les autres (quels autres? tous les autres?). Ce colloque a été suivi de deux autres - toujours dédiés à la condition du néophilologue en Pologne - dont les titres donnent une idée du genre et du niveau des problémes que l'on considérait comme étant les plus urgents: "Qu'est-ce que les recherches philologiques peuvent dire sur les valeurs?", "Nous et les autres - étranger ou communauté?". Dans une telle perspective, il n'y avait surement pas lieu de se poser des questions de caractère pratique, comme celles que je viens de mentionner tout-à-l'heure. C'est pourtant ce genre des problèmes qui, à mon avis, paraît aujourd'hui le plus urgent pour que les départements néophilologiques puissent trouver la place qu'ils méritent dans la nouvelle situation qui est en train de naître dans les universités polonaises. De plus, les solutions qu'on devra adopter seront déterminées encore par un autre facteur - et des plus importants: il s'agit d'augmenter sensiblement le nombre d'étudiants dans les departements "philologiques". L'ouverture de la Pologne à l'extérieur et la multiplication des contacts internationaux pratiquement dans tous les domaines font que les demandes d'inscriptions croissent de telle facon que, dans certains cas, l'examen d'admission et le numerus clausus deviennent simplement absurdes.

Naturellement, je n'ai pas de recette sur la manière de répondre à ces nombreux défis. Je ne risquerai donc que l'allusion à certains points. Je suis convaincu que l'"aggiornamento" ne sera pas possible sans abandonner le luxe des cours intensifs de langues dans les petits groupes, la disponibilité des livres pour tous dans les bibliothèques universitaires - d'autre part, la situation "extérieure" ne les rend plus indispensables. En second lieu, je n'imagine pas que ce soit possible sans abandoner les programmes strictement adaptés à un type d'études philologiques. Seul l'abandon des barrières intérieures - selon lesquels un étudiant de "philologie turque" n'a rien en commun avec un étudiant de "philologie hongroise" - permettra, d'une part, d'atteindre cet équilibre entre les spécialisations qui précédemment avait été créé avec des moyens administratifs; de l'autre, seule une telle ouverture permettra de tenir compte d'un facteur nouveau: le marché du travail qui exige avec toujours plus d'insistance des attitudes fortement pragmatiques. En effet, les départements de philologie devront etre prets à servir aussi comme base pour offrir un "Nebenfach" (une seconde matière) à ceux qui voudront unir les études philologiques avec les études de droit, de sociologie ou d'économie. Pour cela, je crois qu'ils devront évoluer vers le modèle de "cultural studies", en englobant surtout tout ce qui regarde l'actualité des pays ou des régions auxquels on dédie l'attention. Ce type d'exigences est d'ailleurs souvent formulé par les étudiants qui doivent payer pour leurs études des prix élevés et qui sont donc moins susceptibles d' accepter les matières qui ne les intéressent pas du point de vue de leurs projets strictement professionnels. Mais - en adoptant une telle direction - comment faire encore un effort supplémentaire pour la formation des enseignants des langues dans les écoles, étant donné la croissance de la demande à ce niveau-là? Et tout ceci en tenant encore compte du fait que le métier d'enseignant n'est pas du tout attrayant, tout comme le métier de philologue du reste. Si, en meme temps, les structures universitaires en Pologne doivent s'adapter au système de l'Union Européenne (qui d'autre part n'offre pas un système universitaire d'exportation), est-ce que ce n'est pas trop? Ajoutons à cela la concurrence sur le plan de la recherche - car il n'y a plus de motivation pour ne pas adopter le pincipe d'égalité dans les échanges internationaux et l'université polonaise ne garantit plus le financement des projets de recherche - et voilà les aspects principaux de cet unique grand défi devant lequel se trouvent aujourd'hui les départements néophilologiques en Pologne. Si pour nous consoler, nous pouvons bien dire que nous ne sommes pas les seuls à etre confrontés à de pareilles difficultés, la demande reste la meme pour tous: comment répondre à ces défis sans perdre ce qui reste de positif du passé? Comment ne pas abaisser ou ne pas perdre le niveau (par exemple de préparation linguistique) en traitant les étudiants "en masse"? Comment ne pas perdre l'atmosphère des séminaires organisés pour trois, quatre, cinq personnes? Comment offrir quelque chose à ceux qui, dans les études d'une langue, d'une littérature, d'une culture ou d'une histoire étrangère ne veulent pas réaliser des buts pragmatiques, mais cherchent un enrichissement personnel? Quelles sont les limites de la pluralité des modèles et du savoir minimum? Quelle leçon tirer des conversations avec des collègues qui se plaignent en masse de l'université de masse? Comment conserver notre identité?

© Piotr Salwa (Warszawa)

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