Trans | Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften | 11. Nr. | Juni 2002 |
Sosthène Onomo-Abena (Yaoundé)
Introduction
I. Repères historiques
II. L' espagnol de Guinée Equatoriale
III. Emergences d'une identité littéraire équato-guinéenienne
Conclusion
Bibliographie sélective
Introduction
La Guineidad es, por tanto, producto del encuentro histórico de una civilazación de siglos con los grupos étnicos autóctonos del territorio guineano. Es cierto que la Guineidad contiene diversidad de aportes culturales (contiene elementos anglófonos, lusitanos, cameruneses, etc.); sin embargo, lo caraterístico y esencial es lo hispánico y el acerbo cultural bantú.
Constantino OCHA'A MVE BENGOBESAMA (Semblanzas de la Hispanidad, Madrid, Ediciones Guinea, 1985, p. 161.)
On parle de l'Espagnol mexicain, argentin, péruvien, cubain, etc. dont certains vocables sont reconnus par l'Académie de la Langue espagnole et introduits depuis fort longtemps dans les dictionnaires. Toutes ces classifications : espagnol mexicain, espagnol péruvien, espagnol cubain etc. sont fondées sur l'idée de nation et problématisent l'appartenance à une communauté linguistique ou ethnique ainsi que sur l'appartenance à un pays. En poursuivant cette logique, on doit aussi parler de l'espagnol équato-guinéen, ce que du reste démontrent les travaux de Manuel Castillo Barril qui étudie l'influence des langues nationales dans l'espagnol de Guinée-Equatoriale, de Carlos González Echegaray, sur l'espagnol en Afrique équatoriale, ceux de John M. Lipski portant sur la phonétique et la phonologie de l'espagnol guinéen et surtout la volumineuse étude de Antonio Quilis et Celia Casado Fresnillo La Lengua española en Guinea Ecuatorial. Tous ces travaux ne s'appuient que sur des enquêtes orales. En outre, l'étude de Quilis et de Casado Fresnillo, quoique rigoureuse au plan linguistique, parvient mal à cacher ses préoccupations ethnocentriques et démontre la nécessité d'une recherche africaine dans ce domaine. Voilà qui explique le choix de notre recherche depuis quelques années.
Il convient de souligner en passant, bien que cela mériterait un développement plus long, que les productions littéraires et intellectuelles des équato-guinéens demeurent encore à ce jour largement méconnues du public tant africain qu'européen. Elles n'ont pas bénéficié comme les autres littératures de langue espagnole de la même attention. S'il est vrai que plusieurs écrivains et autres intellectuels furent pérsécutés par le régime sanguinaire du premier président de la République Francisco Macías Nguema et se sont exilés, deux autres raisons pourraient aussi être à l'origine de la méconnaissance de cette autre littérature africaine bantoue d'expression espagnole.
D'une part, l'absence d'une maison d'édition dans le pays et la difficulté de produire des uvres littéraires dans un pays de tradition orale et d'autre part, l'indifférence du système littéraire canonique espagnol vis à vis de la littérature équato-guinéenne. Celle-ci ne figure en effet dans aucune Anthologie de la littérature de langue espagnole, exception faite des Anthologies publiées, la première en 1984 par Donato Ndongo et la deuxième par Mbare Ngom et Donato Ndongo en 2000.
L'objectif de notre communication "Les écrivains de Guinée Equatoriale et la langue espagnole" est double.
Il s'agira dans un premier temps, après avoir présenté brièvement l'histoire de l'hispanisation de la Guinée Equatoriale à travers la langue, de repérer et de répertorier dans un corpus comprenant les romans Las tinieblas de tu memoria negra (1987) de Donato Ndongo, Cuando los Combes luchaban (1953) de Leoncio Evita, Ekomo (1985) de María Nsue Angüe et El reencuentro. El retorno del exiliado (1985) de Juan Balboa Boneke, des écrivains parmi les plus représentatifs de l'univers culturel équato-guinéen, les éléments allophones et autres influences des langues nationales sur la langue espagnole. Dans cette première étape mon propos est de rassembler, ne serait-ce que partiellement, une série d'occurrences afin de les mettre en perspective dans un mode de réflexion sociolinguistique.
Je tenterai dans un deuxième temps, si j'ai bien compris l'axe central de cet illustre Colloque à savoir, "Nation-Langue-Littérature", d'interroger les particularités linguistiques équato-guinéennes afin d'y lire l'émergence d'une identité littéraire équato-guinéenne.
Par Ordonnance du 15 mars 1914 il est établi ceci: "es obligatorio en la escuela como único idioma el español".(1) Et par Décret du 24 février 1926, il était accordé un delai de six mois pour que tous les fonctionnaires, autochtones et européens parlent uniquement en espagnol, la langue officielle, pour toute question administrative. Pendant la période coloniale, on peut observer que ce ne sont pas les langues nationales qui constituent le plus grand obstacle pour l'expansion de l'espagnol mais le "pichinglis" (pidgin english), surtout à Fernando Poo où vivait une grande colonie d'Ibos et de ressortissants de Calabar au Nigeria.
Après l'indépendance du pays le 12 octobre 1968, cette situation sociolinguistique va se confirmer. L'espagnol continue d'être la langue officielle, étant donné la grande diversité qu'on peut observer dans les langues locales comme nous le verrons plus loin. La première Constitution de la nouvelle République, en son Article 7 déclare: "El idioma oficial del Estado es el español. El uso de las lenguas tradicionales será respetado".(2)
Mais quelques mois après la proclamation de l'indépendance, et à la suite d'une grave crise politique entre la Guinée Equatoriale et l'Espagne, le Président Macías Nguema va prôner la politique dite de "l'authenticité", ce qui provoquera le recul de l'espagnol au profit de la langue Fang, celle de l'ethnie du Président .
Après le coup d'Etat du 3 août 1979 par le colonel Teodoro Obiang Nguema, la langue espagnole connaîtra un nouvel essor. La nouvelle Constitution qui remplace celle de 1968 dit ceci en son Article 4: "La lengua oficial de la República de Guinea es el español. Se reconocen las lenguas aborígenes como integrantes de la cultura nacional".(3)
Ces différentes Constitutions reconnaissent que, si l'espagnol demeure la langue officielle, les langues locales font partie du patrimoine culturel de la Nation. Mais aucune de ces langues ne pouvait survivre dans ce contexte polyglosique dans toute sa pureté. Et c'est ainsi que l'espagnol guinéen se modifiera au contact et sous l'influence des langues locales, et deviendra une langue espagnole adaptée aux réalités bantoues et africaines. Notons que la Guinée Equatoriale est un pays divisé en deux parties: la partie continentale et la partie insulaire. Chacune des deux présente des spécificités propres.
En effet, sans vouloir réécrire l'Histoire de la Guinée Equatoriale, nous tenons simplement à rappeler que les différents processus historiques qu'a vécus chaque partie et surtout les contacts distincts qu'elles ont connus ont aggravé la diversité interne qui les sépare:
Comme la plupart de pays africains, la Guinée-Equatoriale, seul pays hispanophone d'Afrique Noire, est un Etat pluriculturel et plurilingue. Les rapports inter-ethniques et interlinguistiques constituent des enjeux importants et ne peuvent que retentir sur la création littéraire de ce pays. Les repères historiques et sociolinguistiques ci-dessus apportent certainement un éclairage à l'analyse de notre corpus. Le premier constat qui se dégage de notre analyse est l'attachement des écrivains équato-guinéens à leur culture et à leurs traditions malgré l'éducation espagnole qu'ils ont reçue. L'inventaire des particularismes auquel nous allons procéder apporte la preuve qu'il existe bien une norme endogène de la langue espagnole en Guinée Equatoriale. L'une des retombées de notre étude est qu'elle apporte un éclairage au concept de "guineidad" par le biais de l'analyse de l'une de ses composantes: la langue espagnole dans le contexte sociolinguistique équato-guinéen.
Nous partons du postulat que les faits linguistiques sont liés aux faits sociaux. A ce propos, l'article de Montsernat López Díaz "l'emprise des faits sociaux sur les faits linguistiques: quelques exemples publicitaires" ainsi que les travaux de J. Lago peuvent nous servir de point de départ théorique pour questionner les uvres par rapport à un type et un mode de signifier du roman équato-guinéen. López Díaz, distingue d'une part la langue et d'autre part les habitudes qui la sous-tendent. Ces réflexions de López Díaz coïncident avec l'affirmation de J. Lago (1989: 59-72) selon laquelle on ne peut ni couper la langue du contexte social ni faire une étude approfondie du corpus sans déchiffrer les références culturelles qui l'émaillent et qui sont là justement à dessein pour évoquer et pour être déchiffrées. On le voit, le fait linguistique ne peut pas être pris dans l'abstrait pour une étude qui se veut autre chose que grammaticale.
Présentation des occurrences
Il s'agit ici de relever quelques repères pour étayer notre analyse.
L'examen des uvres de notre corpus laisse voir que la langue espagnole exogène, celle parlée en Espagne, connaît des variantes, des enrichissements régionaux.
Noms des animaux et des essences végétales tropicales.
Utilisation des mots en langues locales, (fang, bubi, ndowé et pidgin). Parfois ce sont des phrases entières. Ce lexique est très souvent convoqué pour désigner des réalités du terroir..
"Frente a la casa se alzaba un gigantesco ekuk", Las Tinieblas, p. 51.
"Una anciana cubierta de pintura blanca de ekuan en el torso ", Las Tinieblas, p. 56.
"Dar los sacos de café, los sacos de cacao, a don Santos Casamitjana a cambio de los kilos de abamecono", Las Tinieblas, p. 105.
"La música de la guitarra de oyeng", Las Tinieblas, p. 166.
"Santamariaaaa Niaa Zamaaa. Vôlo biaaa awaaalaaa miseeemmm mbembeee caasôôamen", Ekomo, p. 21.
"Bâ djo ya?", Ekomo, p. 44.
"Abaha", Ekomo, p. 18.
"Bilobolobo", Ekomo, p. 159.
"Nkom-Bot", Ekomo, p. 113.
"ntangan" p. 118, "mekom" p. 120, "ibanga" p. 120, (El reencuentro )
Dans Cuando los Combes luchaban, on peut relever "bambú" (p.9), "secadero colgante" (p.11), "calabó" (p. 13), "asewé" (p. 12), "yamba" (p. 13), "Rambé" (p. 14), "cuedi" (p. 27), etc.
Rien que dans El reencuentro, nous recensons(7) cent dix sept mots appartenant au lexique local: "balele", "nkué" (p. 60), "Akkiba" (p. 99), etc.
Ils sont peu utilisés. Exemples:
"Piece- ordonó la voz
Ekomo preguntó sorprendido
-¿Pies?
- Oui, oui Piece.
- No entiendo este lenguaje, hermano", (Ekomo, p. 153)
"Le ruegan a gritos que dé las bendiciones a los infantes aun sin conciencia" (Ekomo, p. 37)
"Coñac" (El reencuentro)
Les esclaves libérés de Cuba furent déportés dans l'Ile de Fernando Póo à partir des années 1866 et 1869. On relève des lexies telles que "guagua", "awawa", etc.
Exemple:
"La guagua había arrancado nuevamente y su ruido iba perdiéndose.", Ekomo, p. 27.
"Awawa" est employé dans le roman comme synonyme de "guagua" pour dire "coche" (voiture, taxi-brousse).
Exemple:
"Pasa el awawa camino de la ciudad." (p. 17.)
Les lexies les plus utilisées dans l'espagnol de Guinée Equatoriale sont en réalité celles qui proviennent du "pidgin english" dans l'Ile de Bioko.
Exemples:
"Clotte" qui vient du mot "cloth" (vêtement). (Ekomo, p. 39.)
"Dash" pour dire "pourboire" (Ekomo, p, 154). On peut ajouter dans ce registre des mots anglais comme "la miss", "brother"(Cuando los Combes luchaban p. 7), etc.
Dans El reencuentro, on peut relever: "soy el massa" pp. 26-27-28, etc. "Mango road", p 48, "wishky", p. 88, "silpas" p. 92. "stock-fish", "modika" p. 102.
L'une des caractéristiques de l'espagnol équato-guinéen est l'utilisation du pronom personnel yo, première personne du singulier en fonction de sujet explicite, contrairement à l'espagnol standard où il est toujours implicite dans la désinence verbale. C'est ainsi que l'équato-guinéen dira toujours "yo hablo" ou "yo digo" au lieu de "hablo" ou "digo". L'apparition de yo en fonction de sujet dans l'espagnol standard est souvent une marque stylistique qui traduit l'emphase (dans ce cas, yo signifie "moi-même") alors que dans le contexte équato-guinéen, elle est considérée comme une influence des langues locales sur l'espagnol, car dans les langues bantou en général, le pronom personnel sujet apparaît toujours en position initiale.(8)
L'emploi généralisé et récurrent de ce pronom chez les écrivains équato-guinéens nous fait penser qu'il ne s'agit pas que d'un simple calque syntaxique, surtout que nous avons remarqué qu'il se construit le plus souvent avec les mêmes types de verbes: les verbes d'affirmation ou de pensée (decir, creer, pensar, ver), les verbes d'existence (ser, estar, vivir) et les verbes de volonté (querer, poder). Il s'agit d'une façon de s'affirmer en utilisant la première personne ( je dis, je pense, je sais, etc.)
Occurrences:
"Yo creo que el exilio tiene esos inconvenientes", El reencuentro, p. 200.
"Yo creo que se encuentra en la tristeza". El reencuentro, p. 17.
"Yo soy el curandero". Ekomo, p. 39.
"Yo nunca podré confesarme con él", Las Tinieblas, p. 142.
"Yo me estoy muriendo". Ekomo, p. 170.
Dans l'espagnol guinéen on relève une confusion, une omission et un emploi redondant des prépositions. On note ici l'influence des langues locales. Ce sont des calques syntaxiques.
A au lieu de con:
"De acuerdo a sus enseñanzas, debía saber por mi mismo", Ekomo, p. 27. (Au lieu de: De acuerdo con sus enseñanzas.)
"Su cabeza es sólo capaz de pensar grandes cosas. Las Tinieblas, p. 154. (Au lieu de: " pensar en grandes cosas".)
"El canoso no se hizo de rogar", Ekomo, p. 38. (Au lieu de "El canoso no se hizo rogar".)
Dans Ekomo par exemple on peut relever les omissions de prépositions, de conjonctions ou d'articles. Quelques occurrences:
Ou encore une accumulation de déterminants.
Dans ce dernier exemple, il s'agit de la substantivation du pronom.
Toujours dans Ekomo, on note un usage inadéquat des prépositions.
"Qué dices a ello?", p. 94. (Au lieu de: Qué dices de ello?)
"Me habéis recriminado por defender de otra mujer a mis hijos", p. 97. (Au lieu de: Me habéis recriminado por defender a otra mujer a mis hijos.)
"Más tarde plantamos el cacao y el café y juntos fuimos día a día a cuidar de ello.", p.95. (Au lieu de: Más tarde plantamos el cacao y el café y juntos fuimos día tras día a cuidar de ello.)
"Mañana a la mañana nos veremos las caras y te diré si puedo o no hace algo por ti", p.. 108. (Au lieu de: Mañana por la mañana nos veremos las caras y te diré si puedo o no hacer algo por ti.)
"La guagua había arrancado [ ] iba perdiéndose de poco tras las montañas.", p. 27. (Au lieu de: La guagua había arrancado [ ] iba perdiéndose poco a poco tras las montañas.)
Le narrateur insère dans le récit des proverbes fang et bubi traduits en espagnol.
Les proverbes: Les romans sont ponctués de proverbes, une caractéristique de l'univers discursif africain:
"Lo que le dijo el antílope al elefante: dame tiempo y tendré patas gordas", Ekomo, p. 27.
"La piel del mango es brillante y fina, sin embargo en su interior hay gusanos", El reencuentro, p. 176.
"La vida de una mujer está siempre expuesta a las decisiones del abaha desde que nace hasta que muere", Ekomo, p. 188.
"Mujer que llega, mujer que no vuelve a salir", Ekomo, p. 149.
Avec l'introduction des proverbes, éléments de la littérature orale et "sagesse des nations", dans les récits, les écrivains équato-guinéens font pénétrer dans la langue espagnole les différents imaginaires de leur société. Dans toutes les uvres et particulièrement dans El reencuentro de Juan Balboa, on observe que ce sont les personnages issus du milieu rural qui utilisent fréquemment des proverbes dans les dialogues dans un but didactique.
Il ressort des occurrences relevées plus haut que l'espagnol des écrivains équato-guinéens intègre des éléments appartenant à des univers culturels différents et possédant leurs codes. Ces éléments participent du processus sémiotique global de chacune des uvres concernées. En somme les matériaux langagiers utilisés pour construire le discours proviennent à la fois de la civilisation africaine et bantoue dont la caractéristique principale est l'oralité et de la littérature écrite régie par des normes d'écriture occidentales. L'espagnol des écrivains équato-guinéens est en définitive la rencontre de deux pratiques discursives différentes, le texte oral africain et le texte écrit espagnol. Les contes et les proverbes, véritables récits seconds qui émaillent les textes équato-guinéens, constituent autant de stratégies d'intégration des langues locales dans une écriture bi- ou plurilingue, ce qui laisse entrevoir l'émergence d'une littérature nationale afro-hispanique dont quelques spécificités ont été dégagées plus haut.
Quelques exemples tirés de Ekomo:
Ces occurrences, dont l'énumération est loin d'être exhaustive, font apparaître en première approximation que la langue, l'espagnol en l'occurrence, instrument de communication, vit et ne peut être enfermée dans des normes rigides qui ignorent les spécificités de ceux qui s'en servent. Chaque peuple qui adopte une langue lui donne son souffle et sa manière de s'exprimer.(9) L'espagnol, langue parlée par plus de 400 millions de personnes à travers le monde, l'Europe, l'Amérique et l'Afrique, s'est considérablement enrichi de nouveaux mots et de nouvelles expressions que le sujet-écrivain équato-guinéen intègre dans ses pratiques littéraires.
Ces emprunts lexicaux et morphosyntaxiques aux langues nationales suppléent, enrichissent et dynamisent la langue espagnole de la métropole car celle-ci se révèle aux yeux des écrivains équato-guinéens insuffisante pour dire la réalité du pays. Langue étrangère et langue locale se mélangent et produisent ce que Serge Gruzinski appelle "la pensée métisse".
Cependant il faut reconnaître que ces signes tirés de la réalité socio-culturelle autochtone, ces signes étrangers autant qu'étranges de prime abord déconcertent et entravent la lecture. Le lecteur étranger éprouve alors d'énormes difficultés pour décrypter le texte. Heureusement certains auteurs tels que Leoncio Evita ou encore Juan Balboa donnent des traductions des mots utilisés dans le texte en bas de page. Et comme nous le déplorions au début, les dictionnaires espagnols n'intègrent pas encore ces particularités lexicales équato-guinéennes tel qu'ils le font avec l'espagnol "américain". L'emploi croissant d'un lexique local dans la littérature équato-guinéenne oblige à envisager l'élaboration d'un glossaire explicatif qui fait encore cruellement défaut pour faciliter la compréhension des textes. Il est temps de penser à créer une filiale de l'Académie de la Langue Espagnole en Guinée Equatoriale à l'image de celles qui existent déjà dans toutes les Républiques hispanoaméricaines.
Les occurrences relevées plus haut montrent que dans sa pratique d'écriture, l'écrivain équato-guinéen s'emploie à enraciner la création dans le terreau culturel de langue nationale. Dans tous ces récits, il apparaît des constantes textuelles (formes morphosyntaxiques, sémantiques) qui traduisent une vision du monde. Le lecteur se rend rapidement compte que l'acte d'écriture ici n'est pas gratuit. Il s'agit de l'émergence d'une pratique discursive engagée à la construction d'une conscience identitaire de l'équato-guinéen.
Dans ce pays où la pluralité des langues autochtones engendre une absence d'intercompréhension, source à son tour d'incompréhension, l'espagnol, la langue du colonisateur imposée dans la souffrance, est paradoxalement la seule capable de maintenir le dialogue et la paix entre les différentes ethnies. Certes elle relègue les langues autochtones au rang de langues secondaires, toutefois celles-ci sont à la base du repérage identitaire.
L'introduction du bubi, du fang ou du pidgin-english dans le discours en espagnol va dans ce sens. Nous avons observé sur le plan lexical que les lexies allophones peuvent être regroupés selon des champs lexicaux: faune, flore, etc. Ceux-ci participent à l'ancrage du récit fictionnel dans un contexte social et géographique. La même observation peut être faite au niveau de la toponymie à travers laquelle le narrateur, en remplaçant les noms des lieux hérités de l'époque coloniale par une dénomination locale, veut afficher son identité. Quelques exemples pour l'illustrer: (Santa Isabel => Malabo; Fernando Poo => Bioko; San Fernando => Ela Nguema; Annobón => Pagalú, etc).
Tous ces "corps étrangers" qui figurent dans différents textes ne servent pas uniquement à transcrire la couleur locale, ils sont investis d'une autre dimension, celle de la quête de liberté et de l'affirmation d'une culture afro-hispanique et bantoue, la culture de la Guinée-Equatoriale longtemps malmenée et méprisée par l'ancienne puissance coloniale. En dehors de la quête et de l'affirmation d'une culture, il y a la recherche de l'unité du pays, la construction d'une Nation. Par exemple, dans le roman de Juan Balboa El reencuentro le fait de faire "cohabiter" les éléments fang et bubis (liés à l'origine ethnique de l'auteur) traduit la nécessité d'une coexistence inter-ethnique, projet développé par Juan Balboa Boneke, sujet collectif représentant tous les autres écrivains et intellectuels équato-guinéens. L'intégration linguistique, auparavant considérée par les uns (Bubis) comme un instrument de domination (des fangs) va de paire avec l'intégration communautaire dans un ensemble national revendiqué. Les idées séparatistes Bubis d'avant l'indépendance du pays ne sont pour autant pas totalement gommées mais les écrivains équato guinéens défendent dans leurs uvres, à travers les personnages, la construction d'une Nation unitaire qui respecte la diversité.
Nous ne saurions mettre un terme à cette communication sans souligner que dans tous ces romans, le narrateur défend son identité ethnique: "Sois bohobes, nacisteis en lo bohobe, no lo olvidéis" peut-on lire dans la dédicace de El reencuentro de Juan Balboa Boneke.
Mais malgré cette défense, il intègre le vocabulaire des autres ethnies dans son discours pour montrer qu'il ne s'agit pas d'une identité statique ou xénophobe, d'identités exclusives/excluantes mais d'une identité dynamique. Voilà pourquoi sur le plan linguistique on note chez Leoncio Evita, Juan Balboa, Donato Ndongo et María Nsue Angüe, une recherche constante de l'ouverture vers l' "Autre" (Fang-Bubi-Ndowé etc). Le lexique et la syntaxe sont de ce fait mis à contribution pour véhiculer l'idéologie, celle qui prône l'universalisme et qui s'oppose au repli national et exclusif. On constate ainsi qu'un fond culturel et idéologique sous-tend toujours la situation discursive. Il commande l'acte d'écriture. Les écrivains de Guinée Equatoriale ne dérogent pas à cette règle.
Comme l'écrivain mexicain exprime sa "mexicanité", l'écrivain argentin son "argentinité" , l'écrivain équato guinéen son "équato guinéité" ("guineidad", C. OHA'A., ibid, p. 161) à travers un ensemble d'éléments de sa culture et un ensemble de particularités lexicales et morphosyntaxiques qui définissent son identité linguistique, une identité hybride qui donne naissance à des formes littéraires hétérogènes, c'est-à-dire "impures" où le "savant" et le "populaire" se mélangent.
En plongeant leur imaginaire dans deux univers différents,
les écrivains équato-guinéens dans leurs fictions ont su
effectuer la synthèse en utilisant "des matériaux mineurs
[langues nationales] dans un montage majeur [langue espagnole] dans une perspective
d'effraction, de profanation, de subversion"(10) pour
utiliser une expression de Scarpetta.
©
Sosthène
Onomo-Abena (Yaoundé)
NOTES
(1) Reglamento de 15 de marzo de 1914. Traduction: L'espagnol est la seule langue obligatoire dans les écoles.
(2) Constitution de la République de Guinée Equatoriale (1968). Traduction: La langue officielle de l'Etat est l'espagnol. L'usage des langues autochtones sera respecté.
(3) Constitution de la République de Guinée Equatoriale 1991. Traduction: La langue officielle de la République de Equatoriale est l'espagnol. Les langues aborigènes sont reconnues comme faisant partie intégrante de al culture nationale.
(4) Rappelons que lorsqu'en 1815 fut abolie la Traite des esclaves lors du Congrès de Vienne, il fut créée une Commission Mixe. Au début celle-ci s'installa à Freetown (Sierra Léone), port d'embarquement des esclaves pour l'Amérique. Après en 1827 avec l'autorisation de l'Espagne, la Commission fut transférée à Fernando Póo où créée la ville de Clarence (future Sainte Isabel) par les anglais. C'est le début d'une véritable colonisation anglaise. Cette période verra l'arrivée de nombreux commerçants, des missionnaires évangélistes et surtout des ex-esclaves et " encore appelés " les fernandins", provenant de Freetown . ces derniers parlent le "pidgin english".
(5) ONOMO-ABENA, S., "La dialectisation de l'espagnol en Guinée-Equatoriale. Le cas de El reencuentro. El retorno del exialiado (1985) de Juan Balboa Boneke", Syllabus, vol. I, Nº 6, ENS, Yaoundé, 1998, pp. 101-102.
(6) Jusqu'au Traité d Paris du 27 août 1900 fixant les limites définitives du Territoire espagnol de Guinée, les Français et les Allemands avaient toujours essayé d'occuper ces terres. Le Décret Royal du 11 juin 1904 réglemente l'administration des possessions espagnoles du golfe de Guinée et l'année 1926 marque le début effectif de la colonisation espagnole dans la partie continentale.
(7) Onomo-Abena, S.: Art. Cit., pp. 110-116.
(8) Quilis A., Casado Fresnillo, C. (1995): La lengua española en Guinea- Ecuatorial, Madrid, Universidad Nacional de Educación a Distancia. Pp. 178-179.
(9) Onomo-Abena, S. : Art. Cit., p. 102.
(10) Scarpetta, G. (1985) : L'impureté, Paris, Grasset.
Bibliographie sélective
CASADO-FRESNILLO, C. et al. (1998), La lengua y la literatura españolas en África, Edita V Centenario de Melilla, Melilla.
GRUZINSKI, S. (1999), La pensée métisse, Paris, Librairie Arthème Fayard.
LAGO, J. (1989), "Le rôle du contexte dans l'expression de la générité et de la spécificité" Modèles linguistiques, T. XI, F, 2, pp. 59-72.
LÓPEZ DÍAZ, M. (1992), "L'empire des faits sociaux sur les faits linguistiques: quelques exemples publicitaires", Sociocriticism Vol. VIII, 2, Nº 16, Institut International de Sociocritique, Montpellier, pp. 111-125.
MOLINO, A. M. del (1993), La ciudad de Clarence, Madrid-Malabo, Centro Cultural Hispano-Guineano.
OCHA'A MVE B.C.(1985), Semblanzas de la Hispanidad, Madrid, Ediciones Guinea.
ONOMO ABENA, S. (1998), "La dialectalisation de l'espagnol en Guinée-Equatoriale. Le cas de El reencuentro. El retorno del exiliado (1985) de Juan Balboa Boneke". Syllabus, Vol. I, No. 6, ENS, Yaoundé, 1998, pp. 99-121.
QUILIS, A., CASADO-FRESNILLO, C. (1995), La lengua española en Guinea Ecuatorial, Madrid, Universidad Nacional de Educación a Distancia.
SCARPETTA, G. (1985): L'impureté, Paris, Grasset.
For quotation purposes:
Sosthène Onomo-Abena: Les écrivains equato-guinéens et la
langue espagnole. Construction d'une identité linguistique afro-hispanique.
In: TRANS. Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 11/2002.
WWW: http://www.inst.at/trans/11Nr/onomo11.htm.