Trans | Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften | 16. Nr. | März 2006 | |
10.1. Innovationen in der Kinder- und Jugendliteratur (KJL) |
Mihaela Bonescu (Université de Bourgogne, Dijon, France)
[BIO]
Les lieux de transit, par leur dimension de passage, d'escale, de voyage deviennent aujourd'hui des lieux communs de mobilité, de mouvement et de vitesse qui façonnent notre rapport à l'espace, au temps et aux autres. Gares, aéroports, stations services ou encore marchés ou centres commerciaux sont autant de lieux qui évoquent la notion de transit.
Reliés par les déplacements et les arrêts, ces lieux font partie d’un quotidien parfois destructuré. Leurs espaces sont repensés afin de favoriser les échanges et les interactions: services, produits et médias s'y multiplient, s'adaptent, se croisent. Le lieu de transit n’est plus vécu seulement comme simple lieu de passage, où le temps défile et se perd, mais il est également investi par les individus qui y travaillent, s'y réunissent, font leurs achats… pour devenir autre chose qu'un lieu de passage neutre et dénué d'identité: un lieu où naît le lien avec les autres, un lieu de rencontre, fragile et éphémère.
Telle est aujourd’hui l'ambition des services pour les gares TGV de la SNCF, qui traverse actuellement une période d'adaptation et d'anticipation des attentes des clients de demain, ambition qui se manifeste par la mise en œuvre du concept de gare innovante et de gare communicante.
Compte tenu des mutations survenues dans le comportement du voyageur, qui convertit son temps de transport en temps de vie, que pouvons-nous observer comme changements, évolutions ou ruptures dans les représentations des lieux de transit? Comment se construit leur imaginaire? A travers quels signes, quels langages, quelles relations auprès des usagers?
Le progrès accentué de la technologie à la fin du XXème siècle et la réduction du temps de travail ont engendré une nouvelle vision du temps à l’échelle sociale, aussi bien dans les communautés qu'à l’échelle de chaque individu, pris dans son univers de plus en plus personnel et personnalisé.
1. Mobilité et polychronie
Les diverses tendances de la consommation convergent aujourd’hui vers une valorisation polychrone du capital «temps» dont chaque individu dispose, qu’il veut exploiter au maximum, dans une logique d’usage conscient, actif et responsable. Ce supplément de temps individuel entraîne par conséquent des activités nouvelles, fondées sur la mobilité, et stimulées par le développement et la diversification parallèle des moyens de déplacement: voiture, train, avion. Le tourisme devient ainsi une forme de loisir à portée de chacun, un produit à la carte, prêt à consommer, qui vient confirmer les crises identitaires post, hyper ou surmodernes et le besoin de confrontation avec autrui. Mais le tourisme (et ses déclinaisons) n'est pas la seule raison de l'augmentation du flux de personnes qui se déplacent quotidiennement sur des trajets multiples, ponctués par des temps d’arrêts et des temps d'attente.
Ce tournant dans la perception du temps s'accompagne naturellement d'un changement de notre perception de l'espace, rendu plus accessible et plus proche grâce aux avancées de la technique. Une fois les distances relativisées, travailler loin de chez soi devient une réalité qui, d'exceptionnelle, a tendance à devenir normale, voire banale. Ce nouveau rapport au temps de travail, qui peut s'interpénétrer avec le temps personnel ou avec le temps des loisirs, donne lieu à des négociations permanentes du contrat social qui s’établit entre les nouveaux nomades d’un côté (usagers des moyens de transport et des espaces proposés pour le départ, l'embarquement, l'escale ou l'arrivée) et d’un autre côté les prestataires des services exigés, en occurrence les compagnies aériennes, ferroviaires, routières ou tout simplement les enseignes commerciales.
2. Lieu, non-lieu et lieu de transit
Mais avant de définir le lieu de transit, quelques précisions théoriques concernant la distinction entre lieu, espace et territoire s’imposent. Ainsi, pour Michel de Certeau un lieu est «une configuration instantanée de positions» qui «implique une indication de stabilité»(1), tandis que «l’espace est un lieu pratiqué»(2). L’espace suppose en outre l’existence des vecteurs de direction, des marqueurs temporels ainsi que des indicateurs quantifiables de vitesse.
Marc Augé voit les choses différemment et définit le lieu par rapport à une catégorie nouvelle, le non-lieu. Il nous explique que «si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu»(3). Des non-lieux purs n’existent que sur un plan idéal, mais notre société met en place des dispositifs techniques qui permettent aux non-lieux de se greffer sur certaines structures mobilisant des espaces publics symbolisés. C’est le cas notamment des espaces sociofuges concernant le transport, le transit, le commerce, le loisir, tels que les aéroports, les centres commerciaux ou les parcs de loisir. Notons encore avec C. Raffestin, cité par Pierre Pellegrino(4), que «l'espace devient territoire d'un acteur dès qu'il est pris dans un rapport social de communication».
On peut alors définir les lieux de transit comme des espaces-temps complexes, denses et éphémères de nos agglomérations urbaines qui permettent le développement de trajectoires indéfinies, multiples et peu orientées pour une masse d’acteurs aux profils brassés, agissant selon une logique de flux, de vitesse, de passage. Pour B. Marzloff un lieu de transit «s’inscrit comme un ralentissement, une pause dans une trajectoire. Il en est un des jalonnements en termes d’espace et de temps. Mais cette dimension cinétique reste à géométrie variable; passage, escale, station, étape… selon le temps passé et la vitesse adoptée, selon les ressources prodiguées en termes de praticité, de confort, d’ambiance, de qualité du temps»(5). Il précise encore que «après avoir investi les lieux du transport pour ses commodités quotidiennes diverses (courses, services, informations, détente…), le voyageur entend que son temps de transport lui-même soit un temps de vie: temps de rêve pour certains, temps utile pour les uns (travail, échanges…), temps de détente pour d’autres (jeux, DVD, restauration…), et temps de communication pour beaucoup (connexions à distance)».
3. Des espaces anxiogènes et/ou conviviaux?
Nous pouvons nous demander à présent quel est le nouveau périmètre du transit? Se résume-t-il comme hier aux seuls lieux de transports? Quelles opportunités cela ouvre-t-il aux différents acteurs?
Les grandes familles de lieux de transit que nous pouvons identifier en ce moment sont d’un côté ceux liés à l’idée de transport, et de l’autre ceux liés principalement à l’idée de commerce. Une troisième catégorie se profile maintenant par un usage détourné du café comme espace multimédia et qui donne lieu à de nombreuses déclinaisons. Ces lieux de transit parfois anxiogènes s’attachent aujourd’hui à cultiver une atmosphère conviviale pour tempérer la tension inhérente au contexte et au milieu.
Les aéroports, les gares et les stations de métro sont des lieux universellement reconnus et étiquetés comme étant des lieux de transit, par leur rapport direct avec l’usage de l’avion et du train, deux moyens de transport synonymes de distances importantes et de grand nombre de voyageurs. Une consommation très particulière s’est développée autour de ces espaces, fréquentés généralement par quatre types de voyageurs, pour reprendre la terminologie de J.-M. Floch(6): les arpenteurs et les somnambules d’un côté, les flâneurs et les pros de l’autre. Ce qui intéresse les premiers c’est le trajet, conçu soit comme un enchaînement de variations et de jeux, soit comme une instance neutre sur laquelle on peut greffer d’autres activités: lire, écrire. Les flâneurs en revanche cherchent à vivre avant tout l’émotion, l’inattendu, la surprise, tandis que les pros aiment maîtriser les choses et valorisent leur connaissance du réseau. Ces publics divers des lieux de transit, tellement contrastés et complémentaires, se plient aux dispositifs et s’approprient leurs usages.
Il en est de même pour les visiteurs de la deuxième grande famille de lieux de transit: les centre commerciaux et les stations-service. Une étude réalisée en 1999 par le groupe Chronos(7) a pu établir plusieurs profils, séparés entre mobiles et sédentaires. Le transhumeur hyperactif, flexible, polychrone s’oppose par exemple au flâneur qui, cette fois-ci, est plutôt détendu, peu mobile et maître de son temps.
Enfin, nous pouvons nous interroger également sur un équipement qui stigmatise tout lieu de transit et que nous partageons tous: l’automate. Bien qu’il réunisse des individus dans un même espace, c’est malheureusement moins la sociabilité, quasi inexistante, autour de la machine à café ou du composteur que la frénétique recherche d’une productivité. Comment aboutir alors à créer un lien social harmonieux, avec une dimension d’agrément, d’accord et de participation à la construction d’expériences favorables? C’est l’une des problématiques centrales que se posent aujourd’hui les centres commerciaux qui se veulent de vrais lieux de vie, performant une communication multimodale, qui capitalise sur une approche polysensorielle.
De nombreuses études consacrées aux gares(9) mettent aujourd'hui en évidence des particularités et des tendances intéressantes, à regarder de plus près. Nous allons présenter plus loin une vision d'ensemble de la situation actuelle des gares qui restent des lieux à fort potentiel de développement dans l'économie des communautés urbaines. Notre méthode d'approche c’est l'audit sémiotique(10), un outil qui, à travers l'analyse de cinq dimensions (contextuelle, intégrative, politique, dynamique et valeur ajoutée), nous permettra de saisir de manière systématique les différents éléments qui interpellent la décision stratégique.
1. La dimension contextuelle: une logique de passage
Ce premier niveau d'analyse permet de décoder l'environnement socio-économique dans lequel sont placées les gares SNCF, afin de mettre en évidence les atouts aussi bien que les désavantages sous-jacents.
Les gares se trouvent traditionnellement dans la ville, occupant ainsi une position stratégique forte, bénéficiant en général d’un parking et d'un accès facile aux réseaux de transport en commun: bus, tramway, métro. Le bâtiment même de la gare est souvent une construction imposante qui fait partie du patrimoine architectural de la ville et qui témoigne d'un passé où l'Etat était encore un symbole d'autorité, de sécurité et de progrès. L'histoire de la gare se mêle souvent à l'histoire de la communauté et prend des valeurs affectives singulières pour chaque habitant. Longtemps associée aux grands voyages, à la séparation d'un être cher ou aux retrouvailles, la gare est une figure qui garde intact son capital sensible dans l'imaginaire collectif. Lieu de départ et de retour à fois, la gare structure autour d'elle un microunivers subordonné à une logique de passage.
2. La dimension intégrative: une logique d'accès
Cette seconde dimension se focalise sur l’étude du rapport entre l’externe et l’interne de l’espace des gares et vise à augmenter la visibilité de l’espace vis-à-vis du monde extérieur.
Les halls d’entrée, généreusement vitrés, doués de larges portes à ouverture automatique, prolongent métonymiquement la rue à l’intérieur de la gare, par la lumière du jour qui pénètre à l’intérieur, par les bruits des voitures, par l’odeur du café du coin, par les courants d’air frais en hiver. La logique de libre accès, sans contrôle d’identité ni de titre de transport à l’entrée, permet l’ouverture à l’extérieur et la mise en place de frontières discrètes, transparentes, entre l’espace de la ville et l’espace interne de la gare.
3. La dimension politique: une structuration de l'espace interne
La dimension politique se concentre notamment sur la configuration de l’espace interne. La richesse de choix figuratifs à l’égard de l’aménagement intérieur met en évidence l’existence de certains éléments récurrents, de quelques signes visuels et sonores qui témoignent de l’identité de marque de la SNCF. Cette identité a radicalement changé en 2005, à l’image d’une entreprise dynamique, qui s’efforce à «donner au train des idées d’avance»(11) et de «fédérer son personnel autour d’un projet commun»(12). A part sa nouvelle identité visuelle, composée d’une nouvelle forme («détermination et mouvement»), d’une nouvelle couleur («connivence et changement») et d’une nouvelle typographie («relation et fluidité»), la SNCF affiche une identité sonore «relookée» elle aussi, qui par le biais de quatre notes facilement identifiables, communique avec ses usagers lors des annonces en gare, des messages publicitaires, des messages d’attente etc.
Enfin, cette troisième dimension de l’audit sémiotique opère la mise en scène de l’ensemble des codes chromatiques, de l’intensité de la lumière, des zones d’ombre pour donner du relief à l’espace, des divers objets, du récit du lieu. Un exemple éloquent de ces tendances dans la gestion politique de l’espace serait le salon Eurostar de Paris, qui décline en termes polysensoriels (visuels, tactiles, olfactifs) une identité officiellement affirmée, venant répondre aux demandes de ses publics à travers une séduction discrète et une réactivité croissante (en termes de confort, d’accès aux bornes Wi-Fi etc.).
4. La dimension dynamique: une logique de parcours
Pour comprendre les principes de déplacement des personnes, cette dimension dynamique note les changements d’état provoqués sur les usagers, en termes de ressenti, par les codifications spatiales qui les guident. Diviser l’espace en unités plus petites, selon l’activité dominante, organiser des pôles thématisés, rendre l’espace plus lisible par l’installation de repères visuels, voilà quelques axes de cette logique du parcours. On peut parler d’une autonomie croissante accordée à l’usager, mais ponctuée néanmoins par la mise en scène de quelques centres d’intérêt tels qu’ une exposition ou une animation événementielle.
5. La dimension valeur ajoutée: un espace à vivre
Cette dernière étape de l’audit sémiotique synthétise les fonctions et les rôles de l’espace dans le management stratégique de la SNCF. C’est cette dimension qui permet une évaluation de l’attractivité des services proposés, du taux d’optimisation de l’aménagement, du niveau de captivité des clients. Nous pouvons remarquer aujourd’hui que la SNCF capitalise justement sur cette dimension valeur ajoutée, par une politique d’ouverture des gares à la vie de la cité.
Mais l’innovation est le vecteur principal de cette campagne de renouvellement d’image menée durant le printemps 2005. Elle concerne non seulement la technologie et le confort dans le train, mais aussi la qualité acoustique, visuelle et olfactive des gares.
On assiste à la mise en place du concept de gare évolutive et de gare innovante, concept centré sur la convivialité comme valeur directrice, synonyme dans ce contexte de: circulations fluides, transparence, musique d’ambiance, couleurs chaleureuses facilitant le repérage, signalétique dynamique, luminosité renforcée, suppression des zones d’ombre, création d’espaces paysagers, etc.
O rganiser un pôle d'accueil au centre des gares, créer des conditions de sécurité et de sûreté pour le client, privilégier une accessibilité confortable, rapide et sûre, intégrer la gare dans son environnement par un traitement paysager, tel est le discours actuel de la SNCF, avec l’ambition explicite de développer le concept de "gare conviviale " et de "gare communicante ".
Ce processus de transformation des gares met l’accent non seulement sur la qualité du bouquet de services fournis, mais aussi sur la qualité de la relation à établir avec les usagers, que ce soit de simples passants ou bien des passagers, et envisage ensuite la conversion de ces «non-lieux» en lieux de vie et de production sociale.
© Mihaela Bonescu (Université de Bourgogne, Dijon, France)
CITES
(1) CERTEAU M. de, L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, nouvelle édition, établie et présentée par Luce Giard, Gallimard, Paris, 1990, p. 173.
(2) Idem
(3) AUGÉ M., Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Éditions du Seuil, Paris, 1992, p. 100.
(4) PELLEGRINO P. (sous la direction de), Figures architecturales, Formes urbaines, Actes du congrès de l’Association internationale de sémiotique de l’espace, Anthropos, Genève, 1994, p. 19.
(5) MARZLOFF B., http://www.groupechronos.org/forums.php?id_doc=745
(6) FLOCH J.-M., Sémiotique, marketing et communication, Sous les signes, les stratégies, PUF, Paris, 1990, p. 32-34.
(8) Voir JOSEPH I. (sous la direction de), Villes en gares, Editions de l'Aube, Paris, 1999.
(9) Par exemple: Transit, Les lieux et les temps de la mobilité, de F. Bellanger et B. Marzloff, Villes en gares, sous la direction de I. Joseph, ou encore des sites internet tels que: http://www.groupechronos.org/index.php
(10) GOUBET S., MONNERIE S., «L’audit sémiotique des espaces commerciaux: Un outil de gestion des enseignes appliqué à l’analyse comparée de la FNAC et de Virgin», in Décisions Marketing, n°35, Juillet - Septembre 2004, p. 87-91.
(11) Nouvelle signature: «SNCF, donner au train des idées d’avance!»
BIBLIOGRAPHIE
AUGÉ M., Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Éditions du Seuil, Paris, 1992.
AUGÉ M., Un ethnologue dans le métro, Hachette, Paris, 1992.
BELLANGER F., MARZLOFF B., Transit, Les lieux et les temps de la mobilité, Éditions de l’Aube, Paris, 1996.
BENJAMIN W., Paris, capitale du XIXe siècle, Le livre des passages, Éditions du Cerf, Paris, 2002.
CERTEAU M. de, L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, nouvelle édition, établie et présentée par Luce Giard, Gallimard, Paris, 1990.
FERREIRA FREITAS R., Centres commerciaux: îles urbaines de la post-modernité, L’Harmattan, Paris, 1996.
FLOCH J.-M., Sémiotique, marketing et communication, Sous les signes, les stratégies, PUF, Paris, 1990.
GOFFMAN E., Les rites d’interaction, Les Éditions de Minuit, Paris, 1974.
GOUBET S., MONNERIE S., «L’audit sémiotique des espaces commerciaux: Un outil de gestion des enseignes appliqué à l’analyse comparée de la FNAC et de Virgin», in Décisions Marketing, n°35, Juillet - Septembre 2004, p. 87-91.
HALL E. T., La dimension cachée, Éditions du Seuil, Paris, 1971.
JOSEPH I. (sous la direction de), Villes en gares, Editions de l'Aube, Paris, 1999.
LARDELLIER P. (sous la direction de), Des cultures et des hommes, Clés anthropologiques pour la mondialisation; préface de Marc Augé, L’Harmattan, Paris, 2005.
PELLEGRINO P. (sous la direction de), Figures architecturales, Formes urbaines, Actes du congrès de l’Association internationale de sémiotique de l’espace, Anthropos, Genève, 1994
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