Trans Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 16. Nr. August 2006
 

11.1. Médias et médiations, processus et communautés
Herausgeber | Editor | Éditeur: Pascal Lardellier (Université de Bourgogne, Dijon, France)

Dokumentation | Documentation | Documentation


Le monde de Google: une utopie de la démocratie et du savoir(1)

Sanjeev Bhoyroo (Université de Stuttgart, Allemagne)

 

Introduction

Le moteur de recherche américain Google est un «dispositif socio-technique» qui est en train de reconfigurer - si l’on peut dire - la notion de la culture. Révolution, donc, tout à la fois technologique et économique, linguistique et juridique, mais surtout révolution culturelle, répétons le. Les bouleversements que Google introduit dans un monde en mutation rapide sont autant culturels au sens classique du terme (les «industries culturelles») qu’au sens finalement anthropologique: Google interroge aussi les liens communautaires, les choix symboliques liés aux méthodes d’indéxication autant que de la recherche en ligne; il remet en question la culture classique et les logiques de transmission symbolique, il interroge les définitions traditionnelles du bien culturel, en les refondant dans son creuset numérique convivial et ludique, très postmoderne. Google, disons le, est porteur d’une vision du monde profondément idéologique aussi bien que puissamment utopique. Et là résident toutes les ambivalences, et toute la complexité de Google et de ses quelques concurrents tels que Yahoo, MSN et Amazon.

Il y a dans Google plus de symbolique que de purement fonctionnel, telle sera l’hypothèse que nous essaierons de démontrer au cours de ce travail. Celui-ci s’attachera à problématiser toute la compléxité de Google dans une perspective communicationnelle autant qu’anthropologique. Comment - techniquement et économiquement - ce moteur s’est-il imposé en si peu de temps? Quelles sont les valeurs dont il est porteur dans l’esprit, qui trouvent de profondes résonances politiques, sociales et culturelles?

 

Google et la révolution technique

Un moteur de recherche permet aux utilisateurs d’Internet de faire de la recherche en ligne en utilisant des mots-clés. Une fois les mots-clés tapés, le moteur propose aux utilisateurs une liste de pages web ayant un rapport avec les mots tapés, et les résultats sont affichés selon les critères de pertinence et la densité des mots-clés aussi bien que la structure de la page ou du site. Etant donné la quantité d’informations et de pages sur internet(2), les moteurs de recherches analysent et indexent les pages à l’aide d’un logiciel aussi connu comme le « robot-explorateur de Web». Ainsi procèdent les moteurs Yahoo, MSN et Google afin d’offrir au grand public les résultats nécessaires et l’information demandée. Chaque moteur possède son propre index et son propre algorithme de classement des résultats. Mais, depuis ces dernières années, le monde entier ne tarit plus d’éloges sur Google, le moteur de recherches américain. Créé en 1998, il est devenu, au fil des années, le premier moteur de recherches offrant au grand public un moyen rapide de recherche d’informations sur Internet. Il indexe plus de 8 milliards de pages et il se félicite d’être le premier du genre à constituer une collection complète de «pages web à contenu utile»(3). Mais la question que tout le monde se pose est comment Google a su réussir là où d’autres tels que les pionniers de la recherche en ligne notamment Alta Vista et Excite ont échoué? Comment, en si peu de temps, l’entreprise américaine a pu s’imposer, voire, devancer Yahoo et MSN, ses deux concurrents qui ont exploité le marché de la recherche sur le web depuis une décade? La réponse et le succès de Google se trouvent dans sa technologie nommée PageRank, u n système de classement des pages Web mis au point par les fondateurs de Google (Larry Page et Sergey Brin) à l'université de Stanford.(4)

Avec plus de 20 milliards de pages, Internet peut être comparé à une vaste encyclopédie et les documents sont indexés et catégorisés par les moteurs de recherches. Pour fournir des résultats pertinents à l’internaute, de plus en plus pressé, Sergey Brin et Larry Page font part de leur idée dans un travail intitulé «The Anatomy of a Large-Scale Hypertextual Web Search Engine(5)». La solution qu’ils proposent réside dans la création d’ un système qui traiterait de l’information d’une façon stable (scalable), appropriée (relevant) et rapide (speed) tout en utilisant la structure présente dans l’hypertexte pour déterminer et offrir des résultats satisfaisants aux yeux de l’utilisateur.

Toujours dans leur travail, ils mettent l’accent sur la pertinence de requêtes qui, selon eux, distinguerait Google de ses concurrents:

Indeed, we want our notion of "relevant" to only include the very best documents since there may be tens of thousands of slightly relevant documents...In particular, link structure and link text provide a lot of information for making relevance judgements and qulity filtering. Google makes use of both link structure and anchor text...(6)

Ainsi est née la technologie de PageRank. D’après cette méthode, Google calcule une valeur de chaque page indexée et le PageRank associe un poids, correspondant à une certaine importance, à chaque page web et lui donne un classement qui reflète au mieux son utilité. Cette importance se traduit par le nombre de liens qui pointent vers une page, et, si de nombreux liens se pointent vers une page, cela signifie qu’elle gagne en popularité; selon le PageRank, les nombreux liens pointant vers une page démontrent que celle-ci contient de l’information que beaucoup de gens cherchent, donc elle est importante, et serait automatiquement en tête du classement. De plus, Google accorde davantage de poids aux liens provenant des pages jugées importantes. Ainsi, des liens provenant de sites tels que CNN ou le New York Times ont plus de poids que des liens présents sur un site personnel.

Que ce soit pour trouver un emploi, des cotations boursières ou un article de presse, les gens vont sur Google pour effectuer des recherches. N’importe qui peut effectuer de la recherche sur Google en 40 langues, et, grâce à la technologie de PageRank, accéder aux documents et autres fichiers non HTML. Quels facteurs incitent les internautes à faire leurs recheches sur Google? Il est tout d’abord très simple à utiliser, il nous répond très vite ( 0.09 secondes en moyenne) et nous avons l’impression, et nous en sommes même convaincus, qu’il nous donne les réponses que nous voulons avoir. En sus, i l faut ajouter qu’aucune publicité ne fait partie des résultats affichés par Google. Google identifie clairement ses liens publicitaires «Sponsored Link» aux résultats déterminés par le PageRank. Il fut le premier moteur à séparer les résultats organiques de la publicité payante. Avec cette pratique «démocratique», Google laisse entendre que les internautes disposent d’une solution simple, rapide, honnête et objective pour trouver des sites Web de la plus haute qualité et dont les informations répondent parfaitement à leurs besoins (7).

 

Le modèle économique de Google

En parallèle avec la recherche d’informations, Google offre d’autres services gratuits tels que le weblog, le desktop search, des groupes de discussion, un service de traduction en ligne, un site d’actualité, le Google Talk(8), le Google Sidebar(9) et une bibliothèque numérique(10) entre autres. Ainsi, avec tous ces services innovants, Google nous fait entrer dans l’ère postmoderne d’Internet que nous pouvons aussi appeler le «Web 2.0». Ce dernier fait référence à «une rupture technologique» mais aussi à une «évolution fondamentale des comportements en ligne.»(11) Le Web 2.0 contient un ensemble de techniques qui vont accélérer la pénétration du réseau dans nos vies(12). La qualité des services offerts devient une norme, et Google, en tant que l’initiateur du Web 2.0, est désormais considéré comme une plate-forme où l’être peut accéder aux multiples et différents services qui changent sa façon de penser et son «mode de vie». L’entreprise américaine a su se diversifier, saisir des opportunités qui expliquent son succès dans ce marché en rupture. Ainsi, la majorité de son chiffre d’affaires est générée par la publicité ciblée, des liens sponsorisés «Google Ad Sense», et le « Google Search Appliance» (13).

Google se vante d’être «un champion de la démocratie», car tous ses services sont accessibles gratuitement sur Internet. D’ailleurs, les fondateurs de Google ajoutent que « la mission de Google est d'offrir les meilleures possibilités de recherche sur Internet afin de rendre accessibles et utiles les informations du réseau mondial à tous les internautes.»(14) Mais, rappelons-le, Google est avant tout une entreprise commerciale, et sa technologie de PageRank, qui fait son succès, n’est pas sans faille. La démocratie et la disposition du savoir promises par Google ne sont qu’utopiques, car nous imaginons mal comment une pièce de technologie qui parcourt le Web peut présenter des informations honnêtes et non biaisées.

 

Google: Vecteur de Démocratie?

Selon Page et Brin, la technique de PageRank est « un champion de la démocratie: il profite des innombrables liens du Web pour évaluer le contenu des pages Web et leur pertinence vis-à-vis des requêtes exprimées.»(15) Mais lorsqu’un(e) internaute mène des recherches sur un moteur, il/elle n’interroge qu’une partie des connaissances sur la toile. Qu’en est-il des nouveaux sites? Y avons-nous accès dès qu’un nouveau site est référencé sur Google? Certainement pas, car selon le PageRank la page d’un site doit avoir des liens provenant d’autres sites pour qu’elle soit classée en tête, voire visible sur la toile. Donc, les résultats de Google masquent les choix éditoriaux. Ces choix reflètent plutôt ceux de Google, l’entreprise commerciale, que ceux de la connaissance et de l’information hétérogène.

Prenant la défense du PageRank, Edward Felten, professeur à l’Université de Princeton ajoute que Google représente la «démocratie postmoderne», car il a su donner une voix aux responsables des sites web. Pour Edward Felten, si nous voulons comprendre Google,

nous devons voir la démocratie comme la vraie nature de Google, et non pas comme une aberration. Certains peuvent voir le fonctionnement de PageRank comme une manipulation injuste pour duper Google dans le but d’obtenir un haut classement. Je l’appelle le Googlocracy... Et le fait que beaucoup de gens choisissent de créer des liens envers d’autres sites est, d’une manière particulière, l’information utile en soi.(16)

Certes, la liberté que les webmasters ou responsables des sites web ont pour s’exprimer fait partie de ce Web 2.0 qui, selon certains, encourage le développement de l’intelligence collective, mais dire que Google est en lui-même une démocratie, c’est aller un peu vite en besogne. Si les votes pour déterminer les sites acceptables sont donnés aux auteurs de pages web, Google exclut des milliers d’internautes dans ce partage de décisions. Ainsi, le droit de vote appartient à ceux qui se sont déjà fait une place sur la toile, alors que les nouveaux entrants voient leur pouvoir diminuer. Le pouvoir de vote ne peut se tenir dans les mains de quelques auteurs, alors que d’autres se trouvent en dehors de ce cercle. L’aspect culturel de PageRank, et ses résultats affichés sur le moteur, déterminent ainsi notre vision du monde et ils transformnte notre rapport au monde.

De plus, ce système s’alimente d’un bombardement informationnel et symbolique. Rappelons-nous de la guerre de mots-clés qui opposait l’UMP à Jack Lang. En tapant «Jack Lang» dans Google, les internautes retrouvaient le site de l’UMP dans la colonne réservée aux liens publicitaires. Ce genre de pratique met en cause l’éthique même de l’information en ligne. Peut-on tout acheter, voire, pratiquer le contrefaçon de marque et de noms de personnalités dans l’univers de Google? Ainsi, dans la «Googlocracy», il devient de plus en plus difficile de séparer l’ information véridique de la publicité, et pour citer Joel de Rosnay, «il devient de plus en plus difficile d’observer la plus grande prudence vis-à-vis des informations que l’on nous communique»(17).

 

L’idéologie de Google

Al Gore, vice-président américain pendant l’administration de Clinton, rêvait d’une démocratie qui engloberait tout le monde dans la prise de décision, qui constituerait même un important vecteur de réduction des inégalités. Selon Gore, Internet est

«un service universel qui sera accessible à tous les membres de nos sociétés et, ainsi, permettra une sorte de conversation globale, dans laquelle chaque personne qui le souhaite peut dire son mot. L’infrastructure globale de communication ne sera pas seulement une métaphore de la démocratie en fonctionnement, elle encouragera réellement le fonctionnement de la démocratie en rehaussant la participation des citoyens à la prise de décision. Elle favorisera la capacité des nations à coopérer entre elles. J’y vois un nouvel âge athénien de la démocratie.»(18)

Avec l’avènement d’Internet, tout un chacun a accès au savoir universel, et naviguer sur Google est devenu, pour paraphraser Nicholas Negroponte, «un mode de vie.» Ce nouveau «mode de vie» est caractérisé par la liberté d’expression et la connaissance mondiale, et il n’est pas sans surprise que Google ait choisi la ligne dressée par Gore pour nous expliquer son rôle ultime dans nos vies: pourvoir toutes les connaissances du monde à un clic. Surfer sur Google nous permet de trouver n’importe quelle information, de communiquer avec nos amis et parents. En sus de rechercher, Google, c’est aussi l’espace pour se détendre; il nous permet de nous exprimer à travers un blog que nous pouvons acquérir gratuitement. Donc, Google, l’entreprise commerciale, a réalisé le souhait de Gore d’établir la démocratie et un moyen d’auto-éducation pour les gens grâce aux services gratuits qu’il nous offre. Ses services gratuits sont aussi symboliques de cette idéologie de la communication dans laquelle nous vivons. Celle-ci exige que nous nous connections le plus souvent possible et que nous nous habituions à ce nouveau mode de vie américain et libre, démocratique et rempli de savoirs et de connaissances, « qui seraient indispensables à l’accomplissement existentiel, à la réalisation de soi, bref, au bonheur.»(19)

Ainsi, l’idéologie googlienne, centrée d’une part sur le libéralisme et, d’autre part, sur le monopole du marché, empêche ceux et celles qui l’utilisent de poser des questions sur le savoir ou la connaissance qu’on y trouve. Par exemple, même s’il nous promet la démocratie et la liberté d’expressions, Google (et ses quelques concurrents) pratique le contraire en Chine. En 2003, la Chine avait bloqué l’accès au site de l’entreprise américaine, car cette dernière représentait un outil pour les dissidents politiques. Kenneth Roth(20), le directeur de Human Rights Watch, écrivit aux directeurs de Google et d’Alta Vista pour les féliciter et les encourager à résister à la censure chinoise. Mais, la loi du marché s’avérant plus forte, Google succomba aux exigences de la Chine. Depuis, il a changé de nom (Gu Ge est le nom officiel de Google-Chine), et il surveille les espaces d’expression de leurs utilisateurs (recherche, forums de discussion et blogs). Cette «censure démocratique» pratiquée par Google ouvre la voie à la manipulation des opinions, mais aussi à la promotion insidieuse de l’idéologie néolibérale comme nous le constatons avec les sites anti-scientologiques qu’il a exclus manuellement de ses serveurs(21).

 

Société du Savoir ou Mise en scène?

En l’espace de sept ans, Google est devenu une porte d’entrée importante sur internet. Comme on l’a mentionné, ses activités principales consistent à mettre en place des ressources numériques qui répondent à l’attente des gens, et ses revenus sont largement düs à la publicité. Conscient de son monopole, il aspire à construire un savoir universel à la portée d’un clic. Dans cette lignée, Google nous annonce son désir de construire une bibliothèque numérique contenant plus de 15 millions d’ouvrages en collaboration avec cinq grandes bibliothèques anglo-saxonnes. Cette initiative rejoint son idéal d’un monde de savoir où l’information mondiale sera présente au travers de textes numérisés, sans hiérarchies ni classement, car tout serait décidé par les internautes et les mots-clés qu’ils/elles utilisent. Google a le droit exclusif de la mise en ligne des ouvrages. Ainsi, les ouvrages antérieurs de 70 ans seront mis en ligne dans leur intégralité, et ceux protégés par le droit d’auteur n’auront que quelques extraits.

Adam Smith, le chef du projet, signale que cette initiative serait le moyen de représenter toutes les cultures et les langues du monde. Mais, cette initiative a déclenché un émoi dans certains pays comme la France, l’Allemagne ou le Québec, entre autres. En effet, cette initiative du mastodonte américain met en danger la notion du livre, de la connaissance et des droits d’auteurs, mais aussi la conception même de la représentation égalitaire des cultures. Le numérique googlien englobe toute la problématique soulevée par Walter Benjamin et l’Ecole de Francfort(22) quant à la polarité de la haute culture et de la culture des masses. L’initiative de Google s’introduit-elle dans la démarche de la marchandisation de la culture ou est-elle un légitime produit de bien culturel? Numériser 15 millions d’ouvrages mène évidemment à la dépréciation de l’œuvre comme l’a mentionné Walter Benjamin. Et les ouvrages deviennent une marchandise par leur standardisation et leur commercialisation et par le truchement de la publicité. C’est cette pratique que dénonce Jean-Noël Jeanneney(23). Selon lui, il est impossible que des biens culturels restent entre les mains d’une entreprise privée américaine. D’ailleurs, numériser un livre ou des ouvrages ne constitue pas un probleme en soi. Mais, dans le cas de Google, nous avons l’impression que la fonction éditoriale de la mise en ligne de ces documents n’est pas respectée. Comme nous le rappelle Bernard Miège(24), la fonction éditoriale n’est remplie que si l’acteur social concerné - les éditeurs ou les auteurs - participent d’une façon ou d’une autre dans la mise en ligne des ouvrages. Mais tel n’est pas le cas car Google a a gardé le droit exclusif de la mise en ligne des ouvrages.

«Notre mission est d'organiser l'information du monde et de la rendre accessible et utile à tous»(25), souffle Eric Schmidt, le PDG. Nous sommes conscients de son rôle primordial sur la toile, de ses vœux de voir une démocratie athénienne prendre place et d’être le meilleur qui puisse exister. L’idéologie technique googlienne d’un monde rempli de savoir et de connaissance est représentée aux internautes comme le miroir même de notre société mondiale post-moderne. Si le site de Google est sobre et simple à utiliser, ce «qui plaît beaucoup aux internautes», il y a quand même une séduction cachée dans la façon dont Google nous présente ses services gratuits. Google est le reflet de cette mise en scène avec sa page d’accueil et ses outils gratuits qu’il met à la disposition des internautes, car tous ces outils sont à la base matérielle de la vie sociale.

 

Le savoir et l’information à quel prix?

Google emploie la «mise en scène de la gratuité» comme moyen de promotion, de reproduction et de vente des publicités. Du GoogleMap jusqu’aux résultats de recherches, les liens présents sur le moteur et les publicités payantes nous garantissent une efficacité de la communication. Ces liens donnent une illusion postmoderne comme si la barrière physique aussi bien que celle des langages n’existaient plus, et que ce monde n’était accessible que sur Google. Le rapport à l’information et aux publicités est visible, mais on ne voit plus que l’information qui nous plaît. Cette information qui nous façonne n’est autre que l’information produite par Google qui représente son choix éditorial. L’essentiel est de créer une culture de consommation en faisant appel à nos «émotions irrationnelles». Donc, le savoir laisse peu à peu la place à la consommation culturelle de masse qui a des conséquences négatives sur nos consciences.

Cette mise en scène du moteur de recherche, surtout la personnalisation de la recherche, nous rend plus dépendants de ce moteur, car nous restons toujours consommateurs de l’information produite par Google. Ainsi, pour exister et pour trouver notre place dans son monde imaginaire, nous acceptons la loi de la technologie. Nous donnons sans aucune crainte nos coordonnées afin d’exister. Cette personnalisation que pratique Google et ses concurrents n’est autre qu’une idéologie du «marketing» dont le but serait de créer en nous, consommateurs, une soif d’information permanente à des fins économiques. Notre monde culturel, tel que le conçoit Google, est au second plan, et il est même modelé par la technologie et la consommation. Donc, au lieu de nous libérer, il nous asservit. Pour ceux qui ne se servent pas de Google, ils deviennent ou ont l’impression d’être des «underclass», exclus de ce réseau de savoir et de connaissances. Comme nous l’avons mentionné, Google, mais aussi Yahoo, MSN et AOL, exige que nous donnions nos informations personnelles afin d’utiliser leurs services gratuitement, en sus de la recherche. Pour chaque recherche, les critères et les historiques sont stockés afin qu’il puisse nous fournir une recherche de qualité dans l’avenir. Mais, le mastodonte américain enregistre l’adresse IP de ses visiteurs et installe un cookie qui n’expirera qu’en 2038. Réfléchissons un instant! Avec cette pratique, Google a tous les moyens de devenir un laboratoire du pouvoir que Bentham, puis Foucault avaient décrit comme Panoptique. Ainsi grâce à ses mécanismes d’enregistrer les activités des internautes sur son site, Google a la capacité de pénétrer dans le comportement des internautes, et cette surveillance «devient un opérateur économique décisif dans la mesure où elle est à la fois une pièce interne dans l’appareil (26)» de production de l’information et de nouveaux services qu’il veut nous offrir. Bref, comme l’a souligné Deleuze, «on ne se trouve plus devant le couple masse-individu. Les individus sont devenus des ‘dividuels’ et les masses, des échantillons, des données, des marchés ou des ‘banques’.»(27) Ceci est si vrai, qu’ aujourd’hui, avec les nouveaux médias tels que Google, Yahoo, MSN et Amazon, entre autres, nous sommes pris dans un cercle vicieux du marketing postmoderne et de la communication gratuite où notre corps et notre âme sont devenus la marchandise d’un bombardement informationnel.

 

Conclusion

Aujourd’hui nous constatons que l’aspect d’information est de plus en plus «prégnant au sein de nos activités de la production à la consommation des marchandises, dans toutes les instances de médiation de reproduction sociales, et même dans la sphère privée(28).» Google a, certes, bouleversé notre façon de vivre et de voir le monde, car, il représente le monde dans lequel nous, internautes, voulons à tout prix vivre. Le développement de Google est une révolution culturelle dans la mesure où il devient de plus en plus le lieu de passage obligatoire, d’une part, pour la consultation d’information en ligne, et, d’autre part, pour accéder aux outils qui nous aident dans notre vie de tous les jours. Mais Google représente une nouvelle idéologie américano-mondiale. Il y a en Google une structure imaginaire qui consiste à nous faire croire que plus d’informations feront de nous des gens conscients de nos environnements. En tant qu’internautes, nous devons faire en sorte que le moteur de recherche, aussi bien que ses concurrents qui ont un monopole sur le marché de la recherche internet, ne nous dirige pas vers une uniformisation et standardisation de la pensée américaine, qui fait de nos «mécanismes subtils de la réflexion des réflexes régis par le ‘prêt à penser’(29)

© Sanjeev Bhoyroo (Université de Stuttgart, Allemagne)


NOTES

(1) Sanjeev Bhoyroo, Doctorant de sciences de la communication, Université de Bourgogne, Dijon

(2) On compte à ce jour à peu près 20 milliards de pages web sur internet.

(3) Voir le site de Google. http://www.google.fr/why_use.html

(4) http://www.google.fr/why_use.html

(5) Larry Page et Sergey Brin “The Anatomy of a Large-Scale Hypertextual Web Search Engine" http://www-db.stanford.edu/pub/papers/google.pdf.

(6) http://www-db.stanford.edu/pub/papers/google.pdf.

(7) http://www.google.fr/intl/fr/why_use.html.

(8) Google Talk fonctionne avec un logiciel destiné à agir comme un standard permettant de mettre en liaison des personnes utilisant des systèmes de messagerie instantanée différents.

(9) Une barre de navigation qui donne accès à des informations pratiques de type météo et cours de bourse

(10) Lire plus loin sur la numérisation du projet GoogleLivres.

(11) Benoit Dausse: Culture Web http://blogs.zdnet.fr/index.php/2005/12/01/revue-dapplications-mashup-le-phenomene-web-20-est-en-marche/.

(12) Le Web 2.0 peut être considéré comme l’ère de l’information selon Castells. Celui-ci nous donne une explication simple et détaillée sur les changements sociaux, économiques et culturels de la nouvelle société technologique. Manuel Castells, La societé en réseaux – L'ere de l'information, Edition Fayard, 1998

(13) C’est une solution de recherche d'entreprise intégrée qui étend les possibilités de la technologie de recherche primée de Google aux intranets et aux sites Web des entreprises.

(14) http://www.google.fr/intl/fr/press/overview.html.

(15) http://www.google.fr/intl/fr/why_use.html.

(16) If we want to understand Google we need to see democracy as Google’s very nature, and not as an aberration... Some may call this an unfair manipulation, designed to trick Google into getting a biased result. I call it Googlocracy in action... And the fact that many people with frequently-referenced sites choose to cast their Google-votes in a particular way is useful information in itself. Edward Felten: http://www.freedom-to-tinker.com/?p=509.

(17) Joël de Rosnay, La révolte du pronétariat. Des mass média aux médias des masses, Fayard, 2006.

(18) Lucien Sfez, «Internet et les ambassadeurs de la communication», Le Monde Diplomatique, Mars 1999, http://www.monde-diplomatique.fr/1999/03/SFEZ/11782.

(19) Ignacio Ramonet, «Le bonheur est-il dans le portable», l’Humanité, 25 mars 1999. http://www.humanite.presse.fr/journal/1999-03-25/1999-03-25-286400.

(20) Un extrait de la lettre ouverte de Kenneth Roth: As you know, search engines such as Google and AltaVista play a critical role in ensuring the free flow of information to millions of users in China. Chinese users who want to read objective news, and educate themselves on such restricted topics as human rights, Tibet, religion, and the HIV/AIDS epidemic, often rely on your search engines. The Chinese government blocks access to thousands of web sites based on their content. Using Google and AltaVista remains one of the best ways to circumvent this censorship, since it permits searches that may turn up restricted information in unexpected locations that have not been blocked. We suspect it is just this formidable power that attracted the attention of Chinese government censors. Google´s practice of keeping and permitting access to “cached" pages – which are accessible via Google even if direct access is blocked – may also have been a factor. Kenneth Roth, “ Google, Alta Vista: Resist Chinese Censorship", 7 septembre 2002 http://www.hrw.org/press/2002/09/china0907.htm.

(21) Declan McCullagh. “Google yanks anti-church sites", in Wired 21 Mars 2002 http://wired.com/news/politics/0,1283,51233,00.html.

(22) Walter Benjamin, Adorno et Horkheimer ont souvent traité le sujet de la culture et culture de masse. Voir: Walter Benjamin, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, 2005, et Adorno et Horkheimer, La dialectique de la la raison, Gallimard, 1983.

(23) Voir Jean-Noël Jeanneney, Quand Google défie l’Europe, Mille et Une Nuits, Paris, 2005.

(24) Bernard Miège, Les industries du contenu face à l’ordre informationnel, PUG, 2000.

(25) Claudine Mulard «Le Moteur de recherche Google va-t-il trop loin?» in Le Monde, 31 mai 2005. http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3234,36-656038,0.html.

(26) Michel Foucault, Surveiller et Punir, Gallimard, 1975.

(27) Gilles Deleuze, "Post-scriptum sur les sociétés de contrôle", in L 'autre journal, n°1, mai 1990.

(28) Bernard Miège, Les industries du contenu face à l’ordre informationnel, PUG, 2000.

(29) Pascal Lardellier, Le Pouce et la souris. Enquête sur la culture numérique des ados, Fayard, 2006.


BIBLIOGRAPHIE

ADORNO, Theodor, et HORKHEIMER, La dialectique de la la raison, Gallimard, 1983.

BENJAMIN, Walter, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, 2005

CASTELLS, Manuel, La societé en réseaux - L'ère de l'information, Fayard, 1998

DELEUZE, Gilles, «Post-scriptum sur les sociétés de contrôle», L 'autre journal, n°1, mai 1990.

DAUSSE, Benoit, «Revue d’applications mashup, le phénomène web 2.0 est en marche», Zdnet.fr, 01 décembre 2005, http://blogs.zdnet.fr/index.php/2005/12/01/revue-dapplications-mashup-le-phenomene-web-20-est-en-marche/

FELTEN, Edward, «Googlocracy in Action», 03 février 2004, http://www.freedom-to-tinker.com/?p=509

FOUCAULT, Michel, Surveiller et Punir, Gallimard, 1975.

JEANNENEY, Jean-Noël, Quand Google défie l’Europe, Mille et Une Nuits, 2005

McCULLAGH, Declan, «Google yanks anti-church sites», Wired 21 Mars 2002 http://wired.com/news/politics/0,1283,51233,00.html

MIÈGE, Bernard, Les industries du contenu face à l’ordre informationnel, PUG, 2000.

MULARD, Claudine «Le Moteur de recherche Google va-t-il trop loin?» Le Monde, 31 mai 2005, http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3234,36-656038,0.html

LARDELLIER, Pascal, Le Pouce et la souris. Enquête sur la culture numérique des ados, Fayard, 2006.

PAGE, Larry, et Sergey BRIN, «The Anatomy of a Large-Scale Hypertextual Web Search Engine» http://www-db.stanford.edu/pub/papers/google.pdf

RAMONET, Ignacio, «Le bonheur est-il dans le portable», l’Humanité, 25 mars 1999 http://www.humanite.presse.fr/journal/1999-03-25/1999-03-25-286400

ROSNAY, Joël de, La révolte du pronétariat. Des mass média aux médias des masses, Fayard, 2006.

ROTH, Kenneth, « Google, Alta Vista: Resist Chinese Censorship», 7 septembre 2002 http://www.hrw.org/press/2002/09/china0907.htm

SFEZ, Lucien, «Internet et les ambassadeurs de la communication», Le Monde Diplomatique, Mars 1999, http://www.monde-diplomatique.fr/1999/03/SFEZ/11782

Site de Google:

Pourquoi Google?: http://www.google.fr/why_use.html

Présentation de la société Google Inc: http://www.google.fr/intl/fr/press/overview.html


11.1. Médias et médiations, processus et communautés

Sektionsgruppen | Section Groups | Groupes de sections


TRANS       Inhalt | Table of Contents | Contenu  16 Nr.


For quotation purposes:
Sanjeev Bhoyroo (Université de Stuttgart, Allemagne): Le monde de Google: une utopie de la démocratie et du savoir. In: TRANS. Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 16/2005. WWW: ../../../index.htmtrans/16Nr/11_1/bhoyroo16.htm

Webmeister: Peter R. Horn     last change: 3.8.2006     INST