Trans Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 16. Nr. April 2006
 

11.1. Médias et médiations, processus et communautés
Herausgeber | Editor | Éditeur: Pascal Lardellier (Université de Bourgogne, Dijon, France)

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Les cultures hybrides en question: Présence des diasporas à travers les radios publics

Sirin Dilli (Université de Paris 3, France)
[BIO]

 

Notre interrogation sur les émissions diasporiques repose sur cette réalité d’abriter sous un même toit des populations de cultures différentes ou, dit autrement, conjuguer différenciation culturelle et organisation d'un espace public commun, ce qui est, une question récurrente des débats intellectuels et politiques sur la nature démocratique des États-Nations(1). Une question qui nous semble entrer en résonance avec une autre question, plus modeste en apparence mais non moins actuelle, celle du rôle de la communication dans la consolidation de la citoyenneté démocratique. L'une et l'autre, en effet, actualisent et spécifient la problématique quelque peu usée des rapports entre l'État et la société civile.

 

Des mondes imaginés perplexes...

Les travaux de E.Katz témoignent dès les années 70 de cette évolution des identités culturelles. Les études réalisées par Hélène Valade et Brice Teinturier en attestent également. Alors que l’espace national tend à se clôturer avec la résurgence des ethnonationalismes et des réglementations des Etats en matière de contrôle des flux migratoires, les interactions culturelles et le commerce des biens et des services se développent, révélant ainsi la porosité des frontières et l’hétérogénéité des Etats-nations. C'est une hypothèse que nous adoptons, en considérant que la constellation de demandes et d'affirmations culturelles qui entreprennent à présent de se manifester occuperont de plus en plus nettement, et pour de nombreuses années, le devant de la scène, structurant la vie collective autour des thèmes, déjà de plus en plus centraux, de l'identité, de la subjectivité, de la reconnaissance, de la mémoire ou de l'altérité.

Arjun Appadurai(2) émet d’ailleurs sur ce point, l'hypothèse d'un changement radical dans la construction de nouveaux territoires ethniques et culturels. Cette rupture générale conduisant à l'émergence d'identités mixtes complexes, est, selon lui, la conséquence directe de nouvelles dynamiques initiées par les forces à la fois centrifuges et centripètes de la mondialisation. Et parmi ces éléments, les médias et les mouvements de population jouent, un rôle essentiel dans les reconfigurations identitaires. D’ailleurs, Appadurai se donne précisément pour objectif d'étudier «leur influence conjuguée sur le travail de l'imagination comme une caractéristique constitutive de la subjectivité moderne [des moi et des mondes imaginés]». Les nouvelles localités de la modernité seraient donc de moins en moins dépendantes des territoires des États-nations où les constructions identitaires «se produisaient dans un jeu permanent d'opposition entre soi et l'Autre, entre l'intérieur et l'extérieur» mais plutôt liées à la «multiplication de sphères publiques, caractérisées par des modes d'appropriation collectifs des récits et images médiatiques»(3).

Les diasporas, elles aussi, se rassemblent dans des lieux nouveaux, reconstruisent leur histoire et reconfigurent leur projet ethnique... Peut-être, ne sont-elles plus étroitement territorialisées, ni liées spatialement, ni dépourvues d'une conscience historique d'elles-mêmes, ni culturellement homogènes mais leurs médias semblent une place ouverte aux constructions «ethnologiques».

 

Les nouvelles voix qui émanent de l’Europe

Ces médias ont tendance à prendre en considération la pluralité et l´évolution des sentiments de territoires d´appartenance et, par voie de conséquence, la diversité des publics et des pratiques radiophoniques. Dès l´origine, elles répondent à une demande potentielle bien identifíée, très amplement perceptible et mesurable.

Elles offrent un service à la diaspora qui l’a créée ou à laquelle elles s’adressent, tout en favorisant l’expression et la participation de celle-ci. Parfois, elles répondent donc à une carence des institutions traditionnelles. Ainsi, c 'est dans le strict contexte de cette structure politico-nationale qu'il faut interpréter le développement de médias dits «diasporiques». 

 

L’espace médiatique allemand et ses "diasporas"

Nous nous attachons en premier lieu à l´exemple allemand car son action s´inscrit dans une tradition de respect extrême des droits fondamentaux. Sa jurisprudence est souvent plus respectueuse des droits fondamentaux que la jurisprudence européenne. Du fait du contexte particulièrement tendu, certaines émeutes anti-turques, la cour allemande a attaché un intérêt particulier au respect des droits fondamentaux de ses «citoyens étrangers» et/ou de ses diasporas. L'introduction partielle du principe du jus soli à la loi concernant la citoyenneté en l’an 2000 (art. 116) indique clairement que la définition du «Germanness» n'est plus limitée à la descente ethnique. Elle suggère également que des membres éthniquement non-Allemands et non-européens de l’Allemagne puissent être incorporés à la sphère politique via les chaînes civiques.

Ces changements légaux signifient d'une certaine manière, la transformation du projet-nation culturelement défini vers un projet habermassien de `société post-nationale', exigeant l'identification politique des nouvelles composantes de la société. En d'autres termes, les nouvelles lois nous distancent partiellement de l'hégémonie d’autrefois sur les identités ethniques telles que l'allemand', le ‘polonais', le ‘turc' etc...

C’est dans ce principe qu’en Allemagne, le législateur a fixé des principes généraux pour les communications audiovisuelles et a ainsi défini les obligations des secteurs publics. Selon la cour constitutionnelle allemande, le Bundesverfassungsgericht, les chaînes publiques devraient de ce fait offrir des programmes au contenu diversifié et pluraliste et devraient en être les canaux principaux de diffusion(4). Depuis 2004, seulement deux stations de radios publiques diffusent en ondes moyennes. De plus, le problème en Allemagne est que chaque chaîne radiophonique ayant l’intention d’élargir son écoute doit attendre l’appel d’offre du conseil de diffusion des ondes de l’Etat dans lequel elle aurait l’intention de diffuser. Ainsi, l’écoute de Funkhaus Europa et Multi-Kulti, Berlin restent limités.

 

Un système centralisé à la porté des «diasporas»: La Grande-Bretagne

La Grande Bretagne, qui prône «l’intégration des minorités», a fondé un système basé sur la reconnaissance des minorités ethniques et la prise en considération de leurs spécificités culturelles, historiques et religieuses.

Une loi, le «Race Relations Act» (1976), officialise ce système qui implique des obligations tant pour les pouvoirs publics que pour les instances représentatives des community en tant que telles. Un conseil pour l’égalité des races est chargé de superviser le bon fonctionnement de ce dispositif. Les relations sont codifiées, l’information des diasporas institutionnalisée. De ce fait, la BBC apporte elle-même une contribution à la réalisation et à la diffusion des émissions ethniques sur l’ensemble du pays, à travers son réseau de 39 stations locales(5). C'est le gouvernement qui, par l'intermédiaire du Foreign Office et du Commonwealth Office, indique en quelles langues il convient d’émettre et durant quelle durée. Les grandes stations régionales de la radio publique britannique (Radio West Midlands, Radio Leicester) diffusent ainsi en moyenne cinq heures de programmes par jour à l’intention des groupes ethniques. Radio West Midlands qui réalise un programme quotidien de cinq heures à l’intention de la diaspora asiatique, diffuse en supplément le bulletin en urdu et en bengali de BBC World Service.

En parallèle, une initiative a été prise par le regroupement des organismes de diffusions principaux tels que la BBC, la Grenada, le Calton, la Channel 4 d'ITV, la Channel 5, le Sky pour établir le réseau culturel de la diversité (Cultural Diversity Network). Elle nous intéresse car, ce réseau établi en 2000, a pour ambition de favoriser l’élaboration d’une base de données issue des médias communautaires. Selon les indications contenues dans «Britain’s Ethnic Minorities», publication du Foreign Office, outre la BBC, 59 radios indépendantes (commerciales) et 23 radios plurilingues participent au ciblage médiatique des minorités ethiniques en Grande Bretagne, à travers un cocktail de programmes (bulletins d’informations, émissions culturelles et pédagogiques, programmes de variétés, informations de service etc.). Il reste à voir si ce réseau prendra des décisions dans le domaine de la radiodiffusion, dans la mesure où il pourrait créer une influence sur les radiodiffuseurs principaux qui ne rejoignèrent guère les objectifs de la représentation des minorités dans la production(6).

En effet, le Royaume Uni, à la différence de la plupart des pays européens manque de perspective à long terme pour la radio et la télévision de ses minorités. Seul le secteur public et le secteur commercial sont identifiés dans la législation de la radiodiffusion du pays. Ainsi, les quelques stations de radio et de télévision de minorités restent des initiatives commerciales.

De plus, les limitations dans la représentation des minorités, du côté de la production et de la teneur des médias généralistes, renforce la position des médias des minorités comme contrepoint vis-à-vis de ces médias et augmente le mécontentement et l’émotion d'exclusion de ces minorités(7). Surtout que dans la nouvelle loi de l’audiovisuel de 1996, il n'y a plus d’ ambition politique concernant le besoin des médias de refléter la nature multiculturelle du pays(8) et l'expansion de la radio numérique n'a pas vraiment changé cette situation.

 

Le nouvel outil des diasporas en France: La radio

En France, c´est au cours des années 80 qu´émergent de nouvelles interrogations sur les processus d’interaction et de transaction entre les cultures particulières et les flux transnationaux. Elles mettent en cause la vision monolithique de l’Etat tout autant du mode de fonctionnement des dispositifs de pouvoir que de la formation de la modernité(9). Ainsi, on mentionne qu’une meilleure représentativité de la société française dans sa diversité doit constituer un objectif pour chaque diffuseur.

Amorcée dès 1982 en France, avec l'autorisation des radios libres, la libéralisation des ondes a fait l’objet d’une lecture politique maintes fois commentée encore aujourd’hui. F.Mitterrand décrivait en ces termes cette évolution qu´il avait appelée de ses vœux. Mitterrand déclarait ainsi:

«Je propose qu’à partir de 1980 (...) soit mis en œuvre un vrai réseau autonome de radio de service public, avec une possibilité d’expression accrue, et pour ceux qui disent qu’ils ne peuvent pas parler, l’occasion de parler. À eux de se faire entendre».

A verser au compte de l'histoire de la radio locale: les premières radios ont en effet toujours mis en avant l'idée de "donner la parole à ceux qui en sont traditionnellement exclus"(10). Ainsi, les diasporas, ont-elles l'idée de se doter d'un outil de formation et de communication plus puissant: une radio.

De nos jours, la France compte près de 400 radios associatives, dont le huitième est constitué de radios diasporiques (juive, arménienne, portugaise...). Une trentaine d’entre elles sont subventionnées par le Fond d’Action Social pour l’İntegration et la Lutte contre les Discriminations (FASILD). Pourtant, la France, contrairement à la Grande Bretagne prône « l’insertion individuelle », non l’intégration communautaire, politique qui se traduit sur le plan de la communication communautaire par une politique d’accompagnement des initiatives privées(11)...

 

Au-delà d’une fragmentation sonore de l’identité...

Après avoir brièvement décrit les émissions radiophoniques pour les diasporas en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France, nous avons observé que progressivement, et en partie à la suite de mobilisations politiques et/ou culturelles successives, que ces Etats à base démocratique ont été contraints de reconnaître, dans une certaine mesure, le bien-fondé, la légitimité des revendications qui leur ont été adressées au nom des principes universels dont ils se sont constitués garants(12). Aussi, tendent-ils de plus en plus à reconnaître un déficit de service vis-à-vis de ces populations, une dette symbolique (la dette «matérielle», dépossessions, spoliations, ségrégation, représentant un problème beaucoup plus épineux) qu'ils s'efforcent d'atténuer, en garantissant et/ou permettant aux diasporas un accès, certes très limité, à la production symbolique car le monde des médias est un espace où se jouent la place et la reconnaissance des différentes composantes de la société. İl n'en demeure pas moins que, via les médias, l'espace public (au sens habermassien) de ces sociétés se perpétue (même si sa fonction de «facilateur» du débat et des échanges d'opinions, ainsi que l'usage des pratiques argumentatives, sont à présent à atténuer), qu'il s'élargit (toutes les classes et catégories sociales y prennent part, mais à des titres divers), qu'il voit ses fonctions s'étendre singulièrement, et qu'il a tendance à se fragmenter(13).

© Sirin Dilli (Université de Paris 3, France)


CITES

(1) Michel Walzer, On Toleration, New Haven and London, Yale University Press, 1999.

(2) Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, p.27.

(3) L’I nclusion de l'Autre, Paris, Arthème Fayard, 1996.

(4) Meir-Braun, Karl-Heinz, Martin A. Kilgus, Integration durch Politik und Medien?, Baden-Baden, 7.Medienforum Migranten bie uns, 2002.

(5) G.C. Hulshoff, ‘Multicultural Radio in an International Perspective’, Report, STOA, 1999.

(6) Yasmin Alibhai-Brown, ‘The Media and Race Relations’ in T.Blackstone, B.Parekh and P.Sanders (eds.) Race Relations in Britain, Routledge, Londres, 1998. Simon Cottle (sous la dir.), Ethnic Minorities and the Media. Changing Cultural Boundaries, Buckingham, Open University Press, 2000. A Sreberny, 'The Role of the Media in the Cultural Practices of Diasporic Communities', in T. Bennett (ed.) Differing Diversities, Strasbourg, Council of Europe Publishing, 2001.

(7) Pascal Berqué, Evelyne Foy, Bruce Girard, La passion radio: 23 expériences de radio participative et communautaires à travers le monde, Paris, Syros, 1993, p. 12.

(8) Myria Georgiou & Roger Silverstone, Mapping Diasporic Minorities and Their Media in Europe. Studying the Media. Investigating Inclusion and Participation in European Societies, European and Transnational Communities, European Media Technology and Everyday Life Network (EMTEL 2), http://www.lse.ac.uk/collections/EMTEL/Minorities/reports.html, 2003.

(9) Sylvestre Tchibindat, «Colloque: les médias communautaires, repli ou ouverture», CIRTA : Revue d’analyses et de débats sur l’histoire sociale, la culture et la formation, janvier 1999, Vol. 12, p.35.

(10) Robert Bistoffi , François Zabbal, «Européens musulmans», Islam d’Europe, intégration ou insertion communautaire ?, L’Aube, « coll. l’aube essai », La Tour d’Aigues, 1995, p.11-12.

(11) René Naba, op.cit., p.145.

(12) Leïla Ben Amor, «Télévision et construction d’une ‘communauté’ américaine», Résaux, 2001, N : 107, Vol. 19, p.54.

(13) Michel Wieviorka, «Le grand défi des différences», Le monde des débats, No :24, avril 2001, pp.22-26.


11.1. Médias et médiations, processus et communautés

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Sirin Dilli (Université de Paris 3, France): Les cultures hybrides en question: Présence des diasporas à travers les radios publics. In: TRANS. Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 16/2005. WWW: ../../../index.htmtrans/16Nr/11_1/dilli16.htm

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