Trans | Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften | 16. Nr. | Juli 2006 | |
11.1. Médias et médiations, processus et communautés |
Médiations et communautés
Pascal Lardellier (Université de Bourgogne, Dijon, France)
[BIO]
Si j’affirme d’emblée au commencement était la forme!, fort est à parier pour qu’on me taxe de provocation. Et on me répondra, doctrinairement, qu’au commencement, était le Verbe. Mais têtu, je réaffirme aussitôt avec Ferdinand de Saussure que la langue est une forme avant d’être une substance. Et le serpent se mord la queue.
N’ergotons pas: la forme, qu’elle soit technique, symbolique ou sociale, est une notion fondamentale pour les études s’intéressant aux relations au sens large du terme. Car finalement, ces relations ont toujours pour creuset une forme spécifique, qui leur donne naissance et sens, et qui va imposer ses spécificités aux acteurs.
Si la psychologie, avec sa célèbre et déjà datée Gestalt, si l’esthétique bien sûr, mais aussi la linguistique, les études urbanistiques ou encore la philosophie ont fait de la forme un objet et/ou un concept de prédilection, cette notion reste très largement sous-évaluée dans le registre de la communication.
Forme et fond, voici le pot de terre et le pot de fer, qui vont cahin cahant sur les voies du rationalisme occidental. Etant entendu que c’est toujours le fond, finalement, qui a le beau rôle. Sont-ils vraiment dissociables? j’en doute presque, et j’ai envie de les assembler, comme Peirce considérait signifiant et signifié : les deux faces d’une feuille de papier.
La forme serait donc du domaine du détail, de l’épiphanie, et à vrai dire, de l’épiphénomène. Le fond, lui possède le supplément d’âme écrasant du monde des Idées, de Platon. La majuscule qu’on y accole veut tout dire, elle absolutise le fond. Et pourtant, regardons comment Simmel définit la beauté: elle est la somme d’éléments qui sans cela serait restés étrangers à la beauté.
Les plus beaux poèmes seraient donc ceux que l’on écrira jamais, selon le poète lui-même. Parce qu’on n’a pas trouvé la forme, alors...? Et avoir le sens de la formule, n’est-ce pas rassembler de manière fulgurante, en quelques mots, un fond qui sans cela, eût été incertain, et pour tout dire confus..? De même que le langage aide la pensée, la forme aide à s’incarner ce qui sans elle eût été incertain; et à vrai dire informe.
Je persiste et signe: les formes préexistent aux relations, jusqu’à durablement les configurer.
Les rites, comme les TIC, sont des formes, sociales et techniques. Il a fallu que je passe quelques années à étudier les uns et les autres et que je consacre quelques ouvrages à ces sujets pour m’apercevoir que le vrai fil rouge théorique de mes recherches se situait finalement, là, au cœur de la forme.
Mais la forme communicationnelle est difficile à appréhender. Au musée, les choses sont simples, en fait : comme le disait Louis Marin, le cadre profère le tableau comme discours. Ce cadre, qui a pour lui le confort de la matérialité, délimite, contraint et contient le sens.
Dans la vraie vie, les choses sont souvent un peu plus complexes. Et pourtant, nous passons notre vie à passer par des cadres différents, qui influent durablement sur la manière de percevoir l’autre, et finalement, de nous percevoir nous-mêmes. Forme, cadre, dispositif, contexte, une distinction théorique s’impose peut-être, qu’il conviendra de tirer au clair. Etant entendu qu’il faut déjà s’interroger sur leur nature ontologique. Car après tout, la forme peut-être mentale (frame), spatio-temporelle, urbaine, architecturale, linguistique, sémiotique, même, j’en reviens à Ferdinand de Saussure.
Au Japon, les choses sont plus simples. Le rite, en tant que dispositif et contexte symbolique, peut être considéré comme une sorte de canal. Cette forme sociale transmet un savoir incorporé culturellement, que les individus ont l’intuition ou même la conscience, durant le rite, de partager avec les générations qui les ont précédés, ou avec ceux qui le vivent en même temps, mais ailleurs.
La civilisation asiatique, et plus particulièrement la culture japonaise ritualisent ostensiblement les rapports, ceux-ci se déroulant souvent dans le cadre de kata. Ce mot, qui n’est pas spécifique aux arts martiaux, désigne justement la forme, étymologiquement. Il s’agit d’une structure formelle héritée de la tradition, et dans laquelle l’individu "passe", s’inscrit et s’insère, afin de s’y voir transmettre des savoirs; ainsi qu’un mode de relations stabilisées par ce kata, qui favorise de plus l’intégration à une communauté se perpétuant par ce cadre rituel.
Le rite serait donc une sorte de matrice sociale et culturelle, qui préexiste aux individus, et recèle une capacité de transformation sociale, une force qui est du ressort de l’efficacité symbolique.
Et puis il y a les trois phases de l’apprentissage, dans maintes voies (do) japonaises: Shu Ha Ri: Sh: "j’entre dans la forme", Ha "je brise le moule", Ri: "je développe ma propre expression". Il faut donc imiter le maître, car la forme, héritée de la tradition, est efficiente.
Toutes choses égales par ailleurs, on pourrait considérer que la forme de la communication peut être définie comme un "fait social": Il existe en dehors des joueurs éventuels. Il possède une structure objective qui s’exprime et que l’on peut étudier sous la forme d’un système de règles. Or, la forme impose, comme le "fait social" se repère à ce qu’il exerce une contrainte morale (par distinction avec la contrainte physique) qui nous pousse à agir ou nous interdit d’agir d’une certaine façon. Elle est elle aussi un "bâton" moral (de règlement des mœurs) en somme. Et ce ne sont pas tant les règles, par toujours écrites, ou les lois, pas toujours édictées, qui disent comment se comporter. Ainsi, on ne téléphone ni à la messe ni au Tribunal ni pendant une soutenance, on ne mange pas de crevettes à l’opéra; et si sur un site de rencontres, on va trop loin, on est radié, voire poursuivie, si les propos sont justiciables. On peut dire, "c’est comme ça..." Mais en fait, c’est plus compliqué, plus subtil. C’est bien la forme qui impose ses principes. Et c’est la linguistique qui nous aide à prendre conscience de cela, de la manière la plus évidente.
J’ai voulu rassembler dans cet atelier du colloque de l’IRICS un petite vingtaine de communications en trois grandes familles. Et nous verrons que la forme y prend une forme, et y exerce une action particulière.
Des formes symboliques, d’abord. Les interactions, les processus d’apprentissage et d’initiation...
Des formes techniques, ensuite. Ce sont peut-être les plus facilement perceptibles, car là, la technique préexiste, et les relations y viennent matériellement. Les nouvelles technologies ont ouvert de nouvelles voies de recherches, tout en inventant au lien social des formes qui hier encore n’existaient pas. Et beaucoup restent encore à inventer.
Des formes discursives, enfin. Sachant certains types de discours produisent des effets attendus, et parfois plus inattendus.
La forme est la corde la plus tendue du sens, affirmait Francis Ponge. Pendant deux jours, nous allons à tour de rôle, et tous ensemble, cheminer sur cette corde raide.
Ce trajet convoque le signe, la technique, la médiation. Il possède un background, rassemblant la sémiotique, l’anthropologie, la phénoménologie, la linguistique.
Je nous souhaite en tout cas de trouver le point d’équilibre, et d’arriver heureusement à bon port, après avoir cheminé heureusement dans les arcanes de la forme.
© Pascal Lardellier (Université de Bourgogne, Dijon, France)
11.1. Médias et médiations, processus et communautés
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