Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften | 17. Nr. | März 2010 | |
Sektion 2.12. | Multilingualism, Language Contact and Socio-cultural Dynamics Sektionsleiter | Section Chair: George Echu (University of Yaounde I) |
Le Franfulfulde au Cameroun
Edmond Biloa [BIO], Raïhanatou Yadji (Université de Yaoundé I, Cameroun) [BIO]
email: ebiloaus@yahoo.com et raeele@yahoo.fr
Introduction
Le Cameroun, pays de l’Afrique Centrale, couvre une superficie de 475 442 km² pour une population de 16 millions d’habitants. Il est morcelé en dix provinces dont huit provinces francophones et deux provinces anglophones. Le Cameroun est en effet un melting pot linguistique qui compte plus de 280 langues locales (ethnologue, 2005) réparties sur trois des quatre phylums qui sont représentés en Afrique, notamment le phylum afro-asiatique, le phylum nilo-saharien et le phylum niger-congo-kordofanien. Ces langues locales cohabitent avec les deux langues officielles que sont le français et l’anglais. le contact permanent entre les langues identitaires locales et les langues institutionnelles a donné naissance à des parlers composites ou hybrides (Ntsobe et al, 2008) à l’instar du pidgin-english, du camfranglais, et aussi et désormais, du franfulfulde. Le parler se définit ici comme un système, en cours d’autonomisation sur les plans syntaxique, sémantique, phonologique et lexical, susceptible d’être érigé en unité langue.
Les parlers créés servent alors de moyen de communication à certains membres ou groupes d’individus spécifiques. C’est dans un tel contexte que les populations locutrices du fulfulde ont créé le franfulfulde(1), un parler composé du français et du fulfulde, qui est utilisé par les élèves, les étudiants et les membres de couches sociales plus ou moins scolarisés. Cet article se focalise sur l’analyse structurelle du franfulfulde et sur les répercussions que l’usage de ce parler hybride a sur la dynamique socioculturelle ambiante au Cameroun en général et parmi les fulfuldephones en particulier.
1. Méthode de collecte des données
La méthode de collecte des données consiste à recueillir l’information auprès d’un échantillon cible à l’aide d’un instrument d’investigation.
Constitution du corpus
Pour l’élaboration de notre corpus, nous avons eu recours à deux techniques d’enquête sociolinguistique, notamment l’observation directe et l’observation interactive.
L’observation directe a consisté à enregistrer la pratique de l’alternance du fulfulde et du français auprès des sujets en conversation, sans les avoir au préalable informés de notre objectif. Des données ont été recueillies dans divers contextes de communication et auprès de toutes les tranches d’âge des locuteurs natifs du fulfulde.
L’observation interactive nous a permis de simuler les répondants qui ont accepté de se conformer à la situation de communication de leur choix. La technique d’enquête est le «jeu de rôles» ou "role play", telle qu’elle a été décrite par Maurer (1999). Il s’est agi à ce niveau de l’entretien non-directif qui stipule la distanciation de l’observateur et la liberté d’expression des sujets.
L’échantillon
L’échantillon de notre enquête est essentiellement composé des élèves, des étudiants et des jeunes issus de couches sociales plus ou moins scolarisées. On se rend compte en effet que cette population cible a une caractéristique commune: elle est scolarisée indépendamment du niveau d’instruction. Ceci s’explique par le fait que le franfulfulde est un idiome qui est basé sur l’alternance du français et du fulfulde. Pour s’en servir, il faut une maîtrise minimale de la langue française aux fins de savoir recourir à un mot ou expression donnée selon le contexte de son usage.
Il est intéressant de souligner que l’observation interactive a été essentiellement orientée vers les élèves et les étudiants dont l’âge variait entre 13 et 21 ans. Quant à l’observation directe, elle a été appliquée aux jeunes Foulbé scolarisés sans distinction d’âge, de sexe et de niveau d’instruction.
2. Brève présentation géolinguistique et sociolinguistique du fulfulde
La présentation géolinguistique et sociolinguistique du fulfulde est relative à la classification génétique et à la fonction qu’assume cette langue au Cameroun.
2.1. Situation géolinguistique
Le fulfulde(2) est une langue véhiculaire parlée essentiellement dans les provinces de l’Adamaoua, de l’Extrême Nord et du Nord. Il est intéressant de souligner que ces trois provinces sont francophones. Cependant, du fait de la migration interne des populations camerounaises, les locuteurs natifs du fulfulde sont disséminés à travers le pays, soit pour des raisons administratives, soit pour leur survie. Le schéma ci-dessous illustre l’arbre généalogique de cette langue
Phylum Niger Kordofan Sous-phylum Niger Congo Famille Ouest Atlantique Branche Branche Nord Langue fulfulde (peul, langue peule)
Le fulfulde (001) (ALCAM : 1987) est constitué de trois dialectes standards: le fulfulde-est (fuunaangeere) dans l’Extrême-Nord, le fulfulde-ouest (hirnaangeere) dans la Bénoué et le peul de montagne (hooseereere) dans l’Adamaoua. Eu égard à son aire linguistique, le fulfulde est répandu sur le territoire camerounais. Une telle expansion est susceptible d’impliquer des fonctions essentielles à cette langue.
2.2. Situation sociolinguistique
Le fulfulde, langue transfrontalière, couvre les pays sahéliens du Sénégal au Nigeria et trois pays de l’Afrique centrale (Cameroun, RCA et Tchad). Selon le pays il assume les fonctions de langue nationale, officielle, de langue des médias et de la religion. En Afrique de l’ouest (Burkina Faso, Gambie, Guinée Bissau, mali, Mauritanie, Sénégal), on parle le peul ou pular, à partir du mali jusqu’en RCA, en passant par le Cameroun, le Nigeria et le Tchad on parle le fulfulde .
Le paysage linguistique camerounais est supplanté par les deux langues officielles, que sont le français et l’anglais qui jouissent d’un prestige certain. Ces deux langues officielles, écrit Biloa (2003) sont des langues de l’Etat, c’est-à-dire celles du Journal officiel et des formulaires administratifs, des affaires, de l’enseignement, des médias audiovisuelles et de la presse écrite. Selon l’auteur, ces langues sont des superstrats, tandis que les langues camerounaises constituent des substrats. Biloa (2003: 209) définit un superstrat comme:
Une langue qui empiète sur le domaine d’influence d’une autre langue, mais qui, sans se substituer à celle-ci peut disparaître en laissant des traces.
Au Cameroun, le fulfulde est la langue première d’un peuple migrant, les Foulbé, et cohabite avec le français dans son aire linguistique. De cette cohabitation de deux langues est né le franfulfulde qui est un parler hybride en usage au sein des jeunes locuteurs peuls des milieux urbains. Selon la constitution camerounaise de 1996 portant renouvellement de la Constitution de 1972, il est reconnu au fulfulde le statut de langue nationale. Il assure la véhicularité entre divers groupes ethniques dans le nord du pays où on rencontre un taux élevé des locuteurs seconds de cette langue. Il sert d’outil de communication dans les marchés. C’est aussi la langue de la religion musulmane. Il est dispensé comme une unité d’enseignement complémentaire au département de langues Africaines et linguistique de l’Université de Yaoundé I au Cameroun.
Toutefois, bien qu’il soit une langue servant à l’alphabétisation des adultes, le fulfulde n’est pas utilisé dans l’administration et à l’école. En ce qui concerne les médias, cette langue n’est usitée qu’aux stations régionales de la radio nationale dans la partie septentrionale où elle bénéficie d’une tranche d’antenne (1heure) réservée aux langues identitaires locales. Il se déploie dans le domaine informel et privé.
Sa promotion est assurée par le comité de langue « Bilitol fulfulde » dont le siège national est à Yaoundé. En tant que patrimoine linguistique, il existe un dictionnaire foulfouldé - français, un syllabaire, un livre de grammaire, des légendes, des contes et récits, ainsi que des mémoires et des thèses soutenus sur cette langue.
La typologie des variantes peules et la situation sociolinguistique du fulfulde permettent d’avoir une idée générale sur cette langue. A ce niveau, il est important d’examiner la structure du parler hybride qui allie le fulfulde au français: le franfulfulde. Ce parler hybride peut être considéré comme une interlangue née du contact entre le français et le fulfulde.
3. Structure du franfulfulde
Le franfulfulde est un parler hybride né du contact permanent entre le français et le fulfulde au sein des populations locutrices des deux langues. Il se réalise à travers l’alternance et le mélange codiques, les emprunts et les interférences.
3.1. alternance des codes et le franfulfulde
Le franfulfulde consiste en une utilisation simultanée du fulfulde et du français au sein d’un énoncé. Il s’agit en effet d’une alternance de codes qui selon Gumperz (1982: 32) est:
La juxtaposition, à l’intérieur d’un même échange verbal, de passages où le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux différents.
L’alternance des codes est usitée par les jeunes locuteurs (natifs et seconds) et les populations fulfuldephones plus ou moins scolarisées. Il est à relever que ce parler est fréquent au cours d’une interaction qui aurait dû se faire en fulfulde. du fait de la non maîtrise de la langue identitaire locale ou de l’influence de la scolarisation, les locuteurs du fulfulde recourent à ce procédé linguistique.
Cet usage simultané du français et du fulfulde s’observe à deux niveaux: dans l’alternance intraphrastique et l’alternance interphrastique.
3.1.1. alternance intraphrastique
l’alternance intraphrastique se réalise par l’alternance des deux systèmes au sein d’un même énoncé. Dans le cadre de cette analyse, le système principal est le fulfulde. En effet, le locuteur qui utilise le fulfulde recourt aux items ou expressions de la langue française. Dans cet usage se retrouvent alors représentés les sous systèmes des deux langues, tels que l’illustrent les énoncés ci dessous:
(1) a. Es-kee a aanndi maanier aako naa?
Est-ce que tu connais manière poss. inter."Sais-tu de quelle manière
il réagit souvent?"b. waaɗu mee a reegretan pluutar
faire mais tu regrette plus tard"fais, mais tu le regretteras plus tard" c. mi dilli waɗugo sieeste
je parti faire siesté"je m’en vais faire la sieste" d. o dilli waɗugo maarʃe
il parti faire marché"il est allé faire les coures" e. saa se du lawturu bagayya
ça c’est du purée bagayya"ceci est une confusion" f. mi ɗon hooya deezene am
je entrain prendre petit déj. poss."je suis entrain de prendre le petit déjeuner" g. ze mamfu de ko’o wi’ ata
je m’en fous de ce il dit"je me fous de son opinion h. maadam, sey graas maatine
madame sauf grasse matinée"à une dame, la grasse matinée" i. min ɗon en balaaɗ
nous entrain en balade"nous sommes en balade" j.
ɓe ɗon ngaɗa tualee
ils entr. faire toilette"ils sont entrain de faire leur toilette"
En outre, nous remarquons que les locuteurs du franfulfulde pratiquent un autre procédé d’alternanceintraphrastique qui consiste non seulement à l’intégration des nominaux et syntagmes du français au sein des phrases du fulfulde, mais également à l’usage des déterminants. À ce point, ces déterminants (articles) sont introduits à l’énoncé du fulfulde. Or, les articles sont abstraits dans la langue peule. Nous avons par exemple:
(2)
a.
le ɓikkoon dozordii
les enfants d’aujourd’hui"les enfants contemporains"
b. le rewɓee dee zamanuu
les femmes de ces temps"les femmes émancipées" c. ekkol le feroɓee
école les modernes"à l’école de l’émancipation" d. ii neem paa le hako yorkoo
il n’aime pas les légumes sec"il n’aime pas les légumes secs"
Il découle de (2)(4) que l’article défini « les » est adapté au système grammatical peul qui, a priori, n’en possède pas. De même, l’alternance codique ici est plus riche en items français par rapport à d’autres exemples où dominent les items du fulfulde. Qu’en est-il de l’alternance interphrastique?
3.1.2. alternance interphrastique
Le franfulfulde se réalise et/ou se manifeste pleinement au cours d’un dialogue. Il est plus aisé pour le linguiste ou l’observateur de recueillir des données susceptibles de faire l’objet d’analyse de ce parler hybride. L’observateur peut ou ne pas participer directement à l’élaboration du corpus.
Pour illustrer notre analyse, considérons cette situation (médecin - patient) simulée par deux jeunes locuteurs (a-b) dont l’âge varie entre 15 et 18 ans.
(3) A. a weet-i jam naa? ”
tu passé matinée bien inetrj.
“Bonjour!" B. jam seeɗa mee mi nyawɗo
bien un peu mais je malade"Ça va un peu. Car je suis malade" A. ɗume resenta-taa ?
quoi ressen-tu"Que ressens-tu donc? B. dizon hoore am ɗon deranza yam
disons tête mon entrain déranger moi"Disons que j’ai mal à la tête" A. Depui ndey? Euh je veux dire daga ndey?
depuis quand depuis ndeyB. waɗi dœ ʒur ke mi doorm-aata
il ya deux jour que je dorm - nég"Il y a de cela deux jours que je ne dors plus" A bon, haa mi ekzaminee kadi
bon pour je examine-toi alors"Dans ce cas, je dois te prescrire des examens"
Les données illustrées constituent un exemple du franfulfulde généré par l’alternance du fulfulde et du français. Il s’agit en effet d’une interaction qui aurait dû se faire essentiellement en fulfulde. D’ailleurs, c’est ce qu’on croirait a priori. Mais une analyse succincte du corpus permet une mise en relief de ces deux sous-systèmes grammaticaux.
Bien que le fulfulde soit utilisé par certains membres de la "fulfuldephonie", cette utilisation est indépendante du contexte ou de la situation de communication. Nous en voulons pour preuve que, même au sein du cadre familial, domaine purement informel et lieu par excellence du déploiement de la langue identitaire, ce parler hybride s’est frayé un chemin. Afin de mettre en exergue cet usage, des données ont été recueillies auprès de deux jeunes frères (A et B) parlant d’une émission de télévision.
(4) A A laar-i École des champions naa?
tu voir-accomp. interj."As-tu visionné École des champions" B. wii, mi laar-i
Oui, je voir-acc.."oui, j’en ai regardé" A. antr Sango Ku e Bubul moy ɓuri semmbe?
entre S.K. et B. qui plus force"Qui est le plus fort entre S.et B." B. Sango Ku "C’est Sango Ku" A. puurkoi a wii ke kanko?
pourquoi tu dire que lui"Pourquoi le penses-tu?" B. pass kee o ɗon…
parce que il en train"Parce qu’il est …"
L’aspect linguistique de ce corpus est constitué de l’alternance des langues fulfulde et française au cours d’un échange verbal par les locuteurs natifs du fulfulde, et ce, dans un cadre où est attendue cette dernière langue.
3.2. L’alternance consonantique
L’alternance consonantique se réalise par la modification de la consonne à l’initiale du syntagme verbal. Ce processus a lieu au cours de l’insertion des syntagmes verbaux du français au sein du lexique du franfulfulde. L’item ainsi créé dérive du français et est formé sur la base des règles phonologiques du fulfulde. Considérons les données qui suivent:
a. min ɗon ndeesina
nous(excl) en train dessiner"nous faisons un dessin" b. ɓe ndanndini haa ɓe cafti
ils dandiné jusque ils fatigué"ils ont dandiné en vain" c. on ndeefili naa?
vous défilé inter."avez-vous participé au défilé?" d. en ndansi haa suubaha
nous(incl) dansé jusqu'à l’aube"nous avons dansé jusqu’à l’aube"
Nous constatons que tous les verbes conjugués ont été modifiés de la langue de départ à celle d’arrivée. La consonne labiodentale [d] devient prénasalisée [nd].
/d/ → /nd/ -v
Nous devons toutefois souligner que l’alternance consonantique est propre ici aux trois personnes du pluriel (nous, vous, ils) des verbes conjugués. Car, comme l’indiquent les règles de conjugaison en fulfulde, les trois personnes du singulier ne subissent pas d’alternance consonantique. Il existe davantage des verbes qui ne varient pas.
3.3. emprunt
le franfulfulde, étant un mélange de codes de deux langues de groupes différents, il se réalise par des emprunts du français. A ce point il s’agit d’un emploi conscient des mots appartenant à un autre code. Ce phénomène est corrélé à la non-maîtrise lexicale qui se manifeste par l’ignorance des items équivalents. L’emprunt est un phénomène linguistique inhérent au contact de langues. Dubois et alii (1973: 63) pensent:
Qu’il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B et que A ne possédait pas.
les locuteurs du fulfulde empruntent au français pour désigner des réalités récemment introduites à la culture peule d’une part, lorsque les jeunes citadins ne maîtrisent pas le lexique du fulfulde ou ignorent les réalités locales d’autre part. Pour mettre en exergue ce procédé nous allons faire une liste non exhaustive de termes du français qui ont été adaptés au lexique du fulfulde et intégrés sans modification notable au lexique du franfulfulde:
(5) dupa /peŋ : "du pain" baanan : "banane" maatala : "matelas" avioŋ : "avion" lekkol : "école" puulaa : "plat" gannye : "on a gagné" tool : "tôle" (nimmier) : "salon" batoo : "bateau" saaloŋ liivur : "livre" saabul : "savon" piitirol : "pétrole" faarin : "farine" leetre : "lettre" saaloŋ : "salon" kisin : "cuisine" vantlater : "ventilateur" mooter : "moteur" seemis : "chemise" montur : "montre" maarʃe : "marché" gooyof : "goyave" deezene : "déjeuner kuuyer : "cuillère" vaalis : "valise" miisioŋ : "mission/église" taabal : "table" lakkilee : "(la) clé" peermie : "premier"
Nous constatons que le locuteur emprunte un mot du français auquel il attribue la phonologie et la morphologie du fulfulde et l’intègre dans le lexique du franfulfulde. Cette attribution des traits phonologique et morphologique se fait soit au niveau des tonèmes (qui se matérialise par les accents en fulfulde) par les voyelles longues, soit au niveau des morphèmes suivants des processus morphophonologiques.
4. Morphophonologie/morphosyntaxe du franfulfulde
la morphosyntaxe du franfulfulde est calquée sur celles des langues auxquelles ce parler emprunte, c’est-à-dire le français et le fulfulde.
4.1. structure syntaxique
La structure de base est celle du fulfulde, c’est-à-dire s-v-c où les auxiliaires (être et avoir) et les articles ne se réalisent que de manière abstraite. En outre, la syntaxe du franfulfulde s’apparente à celle du français. En fait la phrase peut être structurée:
s-v-c 1.(6) mi dill-i maarʃe sodugo peŋ
je part-acc marché acheter pain"je vais au marché pour acheter du pain" ɓe ɗon lalla saaloŋ
ils entrain laver salon"ils lavent le salon" c-v-s 2.(7) maaŋɡee go a үakki nde naa?
mangue là tu mangé cl interr."As- tu sucé cette mangue" seemis man a loot-i ngel naa?
chemise là tu lav-acc cl interr."As-tu lavé cette chemise?"
Cependant, comme c’est le cas en fulfulde, nous remarquons que la forme interrogative en franfulfulde ne peut jamais se réaliser en v-s-c / c-v-s:
*liivur njanngi maa naa?
livre lir- acc toi inerj.*"le livre t’a-t-il lu?" *yari a buuyon naa
Boi-acc tu bouillon interr.*‘as mangé tu le bouillon?’’
Il est intéressant de souligner que la phonologie de ce parler hybride est la même que celles du fulfulde et du français.
4.2. Hybridation
Selon Boucher et Lafage (2000) que reprend Biloa (2003: 54):
Une hybridation est une néologie constituée à partir de bases lexicales provenant de langues différentes, de telle sorte que le mot ainsi constitué relève exclusivement du lexique local de la langue d’accueil.
Ce processus linguistique se fait soit par dérivation, soit par composition. Il s’agit dans cet article de la dérivation d’un verbe du français et son intégration au sein d’un mot du fulfulde. Biloa (ibid) affirme que la dérivation est un processus morphologique très productif en français camerounais, surtout en ce qui concerne la préfixation et la suffixation. Considérons les exemples franfulfulde suivants:
"je vais manger"
"il vend des légumes"
"nous voyagerons demain"
"j’ai grignoté"
L’hybridation se focalise ici sur les verbes conjugués. A première vue, on pourrait croire qu’il s’agit des phrases fulfulde. Or, lorsque nous considérons ces verbes, nous nous rendons compte qu’ils dérivent du français. Il s’agit en fait d’une adaptation du verbe français à la morphophonologie du fulfulde. C’est le cas des phrases (b, c, d) où s’est faite l’adjonction du morphème aspectuel (-a, -an, -i) au radical verbal (vend-, voyag-, grignot-) de la langue française. Quant aux exemples (a) et (b), nous constatons que le locuteur conserve le [Z] qui pourtant n’existe pas en fulfulde. Car il est difficile pour un fulfuldephone non scolarisé de prononcer ce son, il est plutôt habilité à produire le [z].
5. Impact du franfulfulde sur la culture peule
Tel qu’il a été mentionné plus haut, le franfulfulde est un parler hybride utilisé par les élèves, les étudiants et les jeunes plus ou moins scolarisés pour résister au risque d’assimilation qui guette les locuteurs orphelins de leur langue native. au début, ce parler reflète la non maîtrise du fulfulde par les jeunes et ceux qui vivent hors de la zone géographique du fulfulde. En outre, il constitue un signe de contact de langues qui remonte à la période coloniale française au Cameroun et à l’arrivée des Foulbé dans la partie sud du Cameroun.
Le franfulfulde participe à l’élaboration d’une identité générationnelle. Il constitue une démarcation, l’innovation et la volonté de marquer les frontières. Pour les locuteurs de ce parler, l’utiliser c’est se différencier des vieux et des jeunes non scolarisés d’une part, de ceux qui véhiculent les normes sociales et linguistiques rigides d’autre part. À l’instar du camfranglais et du pidgin-english camerounais, le franfulfulde est considéré, par ceux qui n’en usent pas, comme un échappatoire aux règles pré-établies. Queffelec (sous presse) écrit à cet effet que, pour échapper aussi bien aux vernaculaires auxquelles sont attachés les parents qu’aux langues de l’école dont les éducateurs s’appliquent à enseigner le bon usage d’origine extérieure, les jeunes Africains utilisent des codes mixtes.
Au fil du temps, le franfulfulde devient, ou est en train de devenir un signe d’abandon progressif de la langue peule par ses locuteurs natifs. Cet abandon se manifeste par la création des dialectes secondaires et évolutifs, le refus d’utilisation des items et expressions originels du fulfulde, à l’instar de bataakewol (lettre), kodoŋ (banane), njaanngirde (école), paaranti (plat), piirowal (avion), kuroori (farine), deftere (livre), kalannjir (pétrole), koombewal (bateau), zawleeru (salon), sookali (cuillère), akooti (valise), njapa (église), kacitaari (déjeuner).
En ce qui concerne les jeunes citadins, l’usage du franfulfulde est une manifestation émancipatrice qui les distingue des populations rurales non scolarisées. Car les membres qui s’expriment essentiellement en fulfulde sont considérés comme ceux-là qui vivent encore dans le Moyen-Âge ou du moins qui «sortent» du village. Pour être bien vus, les citadins utilisent volontairement le franfulfulde en face des non-initiés soit par discrétion, soit pour diffamer l’image de ces derniers. Mais curieusement, ceux-là qui sont traités de moyenâgeux adoptent au fur et à mesure ce dialecte hybride par crainte de n’être pas marginalisés et par complexe d’infériorité. Du fait de l’héritage colonial, le contact et la civilisation francophone, la maîtrise ou l’usage du français est considéré comme un symbole de modernisme et d’ouverture au monde extérieur (l’Occident).
D’un point de vue général, le franfulfulde constitue un enrichissement du patrimoine linguistique camerounais, bien qu’il occasionne l’extinction du fulfulde en tant qu’unité langue. Il est susceptible de devenir une langue véhiculaire au sein des populations locutrices du fulfulde. Si à l’origine l’usage de ce parler nécessitait un minimum de connaissance de la langue française, il commence à infiltrer le domaine des non scolarisés. En effet, les non scolarisés qui usent de ce parler procèdent par l’adaptation des «mots et expressions » du franfulfulde au lexique du fulfulde pur. Or, nous avons déjà vu que le franfulfulde est non seulement bâti sur l’alternance et le mélange de codes, des emprunts, mais surtout sur l’assimilation morphophonologique.
6. Conclusion
Le franfulfulde, parler hybride qui résulte de l’alternance du français et du fulfulde, est utilisé parmi les adolescents (10 à 21 ans) et les jeunes scolarisés. L’usage simultané de ces deux langues par les peuls est soutenu par connell (sous presse) dans son article portant sur la situation sociolinguistique au Cameroun, lorsqu’il affirme:
Use of both fulfulde and french is gradually on the increase, especially among school-aged children, with a situation similar to, but by no means as advanced, as that reported by schaefer & egbokhare (1999) regarding use of english among the emani in southern nigeria(6).
Le franfulfulde, qui au début, était l’apanage des populations plus ou moins scolarisées devient au fil de temps un signe de modernité, une démarcation des autres locuteurs natifs âgés ou non scolarisés. Ce parler composite, qui est en train de gagner du terrain tout en prônant l’abandon progressif du fulfulde pur et originel, est également, à en croire Queffelec (2008: 4), lorsqu’il définit les parlers hybrides comme « un moyen pragmatique trouvé par les Africains pour résister à la domination des langues impérialistes ».
Dans le même ordre d’idées, Echu (2008) soutient l’intégration du pidgin-english camerounais dans la politique linguistique du Cameroun. L’auteur pense que compte tenu du rôle important que joue le pidgin-english en matière de communication, une politique linguistique digne de ce nom élaboré au Cameroun devrait prendre en considération la place de cette langue véhiculaire.
C’est donc dire que les parlers hybrides constituent un enrichissement de notre patrimoine linguistique. L’apport des travaux sur le camfranglais et le pidgin-english démontrent à souhaits l’importance accordée aux parlers composites au sein de la communauté intellectuelle, d’où l’intérêt scientifique y afférent.
Références
Anmerkungen:
2.12. Multilingualism, Language Contact and Socio-cultural Dynamics
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