1876: inauguration du festival de Bayreuth. Lancement - à Vienne - du premier périodique hébreu socialiste: Ha emet, dirigé par Liebermann. Des suppléments en yiddish y seront joints. Afin de toucher la masse énorme des immigrants tchèques et hongrois, affluant vers la capitale de l’empire austro-hongrois. 1900 : fondation - toujours à Vienne - de l’hebdomadaire sioniste Di Velt. Par les soins de Theodor Herzl, lequel aurait eu la vision de la fondation de l’Etat hébreu en écoutant l’un des opéras de ... Wagner. 1908 à 1910 : représentations triomphales d’ouvrages de Wagner - sous la direction de Gustav Mahler - au Metropolitan Opera de New York. 1923 : publication, dans la même ville, de Dos naye opera bukh d’un certain Dr. A. Muzikant, contenant le résumé de plusieurs des drames musicaux du même compositeur. A côté de ceux de La Juive d’Halévy ou de L’Africaine de Meyerbeer.
En dépit de ces informations et si l’antisémitisme virulent de Richard Wagner, comme l’influence de celui-ci sur Hitler sont - hélas - des phénomènes bien connus, les relations entre la culture yiddish et ce musicien demeurent encore une terra incognita. Un metteur en scène renommé de théâtre yiddish aurait envisagé la production, dans cette langue, de plusieurs ouvrages, dont Parsifal. A la même époque, un spectacle de marionnettes présenté à Lodz sous la direction de Moyshe Broderson et intitulé Tsungelungen comportait des éléments parodiques de L’anneau du Nibelung. Ces indications sont d’autant plus étonnantes que, lors de la réouverture du festival de Bayreuth après la Première Guerre Mondiale, cette manifestation devint, plus que jamais, le réceptacle de mouvements antidémocratiques d’une violence inouïe.
Quelques années plus tard, les petits-enfants de Wagner disposeront d’un théâtre de marionnettes où ils représenteront La princesse Bulette, pièce dont l’héroïne principale se débarrasse de deux prétendants encombrants : un riche paysan et un Juif se distinguant par un ... nez énorme et une ... odeur déplaisante. Une telle information, parmi une profusion d’autres, met en évidence les relations contradictoires entre les admirateurs de Wagner liés à la culture yiddish et un créateur qui, à la fin de son essai Du judaïsme dans la musique paru en 1850, invite le lecteur à prendre part à un « combat sanglant » contre les adeptes de la religion mosaïque. Cette opposition sera au cœur de mon propos : comment a-t-on pu intégrer les ouvrages wagnériens dans un manuel destiné aux amateurs d’art lyrique et rédigé dans une langue de combat qui, depuis la fondation du Bund et la conférence de Czernowicz, tenue en 1908, s’associera aux valeurs de la démocratie, alors que le compositeur de Tristan et Isolde haïssait presque toutes les formes de modernité ? Comment pouvait-on être passionné de Wagner et ignorer à ce point sa pensée destructrice ?
De pareilles perspectives antinomiques se retrouvent également - entre autres - quand on compare la ferveur wagnérienne s’étant emparée des Viennois à partir, grosso modo, des années 1870 et le développement, à la même époque, d’un antisémitisme sournois parmi l’empire austro-hongrois. La création des Maîtres Chanteurs de Nuremberg dans la capitale de la monarchie dualiste suscita des protestations officielles de la communauté juive. Les opérettes viennoises d’alors comportaient souvent un personnage clamant « Ich bin a ärmer Jud ». A la même époque émergeaient également des compositeurs de l’envergure d’Arnold Schönberg, de Hans Roth, d’Erich Wolfgang Korngold ou de Gustav Mahler, tous juifs pratiquants ou d’origine.
(*) Prévoir impérativement un rétroprojecteur et un écran