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Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diomé, roman de la migration et de la nouvelle conscience historique africaine
Jean-Christophe L. A. Kasende (French Department, Dalhousie University, Halifax, NS, Canada) [BIO]
Courriel: jclakasende@yahoo.com
RÉSUMÉ:
La nouvelle conscience historique africaine dont il s’agit dans Le ventre de l’Atlantique, premier roman de Fatou Diome, naît de la découverte du vrai visage de la migration comme « Ailleurs ». Au bout du processus narratif en effet, le protagoniste découvre les potentialités du lieu d’origine. Grâce au réflexion de sa sœur Salie installée en France après un mariage infructué avec un Franças, Madické est convaincu que la terre d’origine, L’Afrique symbolisée dans le roman par l’île sénégalaise de Niordior, peut procurer le vrai épanouissement, une fois prise en charge par ses habitants. Le récit de migration dans le roman se raconte en deux versions. La version embellie de l’homme de Barbès n’est pas de nature à calmer les ardeurs des jeunes de l’île qui rêvent d’« aller bâiller devant la télévision en France pour toucher un salaire ». La version authentique servie par Ndétare rappelle au jeune de l’île que souvent, le chant de sirène conduit tout droit au sort tragique d’un Moussa, un des leurs qui, trafiqué en France par « un découvreur » de jeunes talents africains du football, s’est trouvé jeté au cachot, transformé en « araignée prise dans les fils de son destin malheureux ». L’histoire du jeune Moussa structure l’argumentation rationnelle de Ndétare, ancien dirigeant du syndicat des enseignants dakarois relégué sur l’île pour ses idées progressistes, et aidera à calmer d’autres ambitions démentielles. Madické finira par découvrir que le vrai visage de la migration contraste avec la beauté réelle et les charmes irrésistibles d’une « France au féminin » qui séduit sans se laisser séduire elle-même. La reconversion de Madické incarne la nouvelle conscience historique de la Jeune Afrique. L’œuvre suggère en filigrane que le récit authentique de la migration rend possible la découverte de soi. Le salut de l’Afrique réside aussi, il est vrai, dans le lien historique qui la rattache à la France, symbole de l’« Ailleurs » parfait; mais il faut que la France, comme tous les « Ailleurs » de rêve, soit bien racontée et pensée par les Africains du dehors et du dedans. La migration devient alors le lieu par excellence des expériences initiatiques partagées servant à la découverte de soi et où se construit un discours véritablement libérateur parce que fondé sur des récits authentiques. Une sociocritique de modalité évaluative des discours institués et une approche linguistique de ces mêmes discours permettront de confirmer le rapport entre la migration et l'invention d'une nouvelle relation au monde ainsi qu’entre la migration et la découverte de soi individuel ou collectif.
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