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Internationale
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Sektion VII: | "Interkultureller" Austausch, transkulturelle Prozesse und Kulturwissenschaften | |
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"Intercultural" Exchange, Transcultural Processes and Cultural Studies | |
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Echange interculturel, processus transculturel et études culturelles |
Gabrielle Knecht (Strasbourg) |
N'est-il pas surprenant, et même un peu surréaliste dans une rencontre consacrée à la globalisation et à l'interculturalité, de constater que l'entreprise multinationale américaine contemporaine ne figure nulle part dans la liste des sujets évoqués au cours de ce colloque à l'UNESCO? Que faut-il déduire de cette absence: désintérêt, lassitude, malaise, peur, voire trace de cet antiaméricanisme intellectuel qui fut un des prétextes pour lesquels les Etats-Unis claquèrent la porte de l'UNESCO en 1984?
Car c'est bel et bien de ce pays-là que sont issues ou que s'inspirent, que cela plaise ou non, la majeure partie des grandes firmes transnationales, d'ailleurs définies par le terme américain de 'globales': selon le dernier palmarès du magazine FORTUNE, paru en août 99, sur les 500 plus grandes entreprises mondiales, 195 sont américaines, tout comme la moitié des dix premières, toutes activités confondues (General Motors, Ford Motor Corporation, Wal-Mart Stores, Exxon, General Electric). Il est vrai que l'entreprise constitute sans doute l'ouvrage le plus représentatif du génie américain. Elle est le lieu où celui-ci exprime et épanouit sa créativité et son énergie, une référence à l'intérieur des autres groupes sociaux du pays. Le 'Rêve Américain' de conquête tous azimuts étant fort éloigné et de la songerie 'sans objet' et de la construction purement intellectuelle, la culture éminemment pragmatique et matérialiste qui le suscite a encouragé, récompensé et encensé moins les inventeurs de concepts que ceux qui ont su les transformer en marchandises pratiques, consommables et populaires.
On est en droit, bien sûr, de ne pas adhérer à de telles valeurs. Mon propos ici, toute américaniste que je sois, spécialisée dans l'observation et l'étude des phénomènes et des structures de société aux Etats-Unis, n'est ni de faire preuve d'angélisme, ni de jouer à l'avocat du diable; mais seulement de suggérer et d'illustrer que la grande firme américaine, en dépit de ses tentations hégémoniques indéniables, constitue néanmoins un terrain extrêmement fertile d'investigation interculturelle (comparative et contrastive) pur les chercheurs et les universitaires, non seulement économistes, mais aussi sociologues, politologues, historiens, anthropologues, linguistes et autres spécialistes de sciences humaines curieux ou soucieux d'appréhender les rapports interhumains, leurs organisations et leurs productions.
Mais l'interculturel a-t-il une place au sein des multinationales américaines? Car elles ont beau s'être déployées dans le monde entier, affirmer s'être détachées de leur citoyenneté originelle, se vanter de la diversité des pays auxquels appartiennent les membres de leur personnel, et même permettre à des étrangers d'accéder aux postes de commande, il n'en reste pas moins que leur ancrage matériel et symbolique (siège de la compagnie, quasi-totalité de la Recherche et Développement, acitivités stratégiques et contrôle du capital) n'a pas pur autant quitté le territoire américain, tout en échappant ailleurs aux souverainetés étatiques et même interétatiques dont elles transcendent les logiques autrement plus complexes que la seule loi du profit! Se superposant alors aux appartenances affectives et éthiques personnelles, une 'affectio societatis', représentation et mise en scène de la réalité et de l'action à suivre fortement imprégnées des pratiques américaines, et entretenue pour générer non pas du symbole ou encore de la convivialité, mais du chiffre. L'appel à l'engagement collectif et la recherche du consensus renforcent le pouvoir des dirigeants, leur sert de levier de négociation avec les syndicats, les fournisseurs et les institutionnels, tous convertis sous peine de délocalisation à la cause de l'intérêt commun.
La pression exercée par la culture d'entreprise multinationale est d'autant plus forte qu'elle s'appuie sur une rhétorique qui sous souvert d'universalisme prône un modèle typiquement américain. Celui-ci, fort des ses performances économiques et politiques comme de l'échec retentissant des modèles étatistes, assimile la culture d'aujourd'hui à la seule technoculture, avec ses amalgames discutables, ses invitations à emboîter le pas de l'oie de la consommation, et ses motivations marchandes qui ne coïncident pas forcément avec les valeurs humanistes, quoi que prétendent ses propagateurs et bénéficiaires, même s'ils sont sincèrement persuadés du bien-fondé de leurs interprétations du monde et de la vie. Pour l'entreprise globale, c'est clair: progès=tecnolgie, liberté=ouverture du marché, démocratie=capitalisme, avenir=calculs prévisionnels, temps=vitesse, échanges=négoce, richesse=marchandises, connaissance=informations, identité=image, etc. Ces glissements successifs de sens s'opèrent à notre insu ou avec notre consentement tacite. Ils composent le discours dominant actuel, qui présente l'économie libérale comme un ordre rationnel, s'imposant de soi, une sorte de sagesse des nations qu'on ne saurait récuser sans passer pur rétrograde ou paralysé par la peur du changement ...
Cette idéologie est d'autant plus ubiquiste qu'elle coïncide avec celle d'une puissance hégémonique, ce qui en facilite la diffusion et incite ses adeptes à l'asséner comme une recette, y compris ailleurs que là où elle s'est fondée: aux Etats-Unis. Or, cette conviction que les règles du commerce entre les hommes sont à chercher du côté de la loi de l'offre et de la demande, de la concurrence, de l'absence d'intervention des pouvoirs publics, etc., s'est appuyée sur une géographie et un passé particuliers: ceux d'un opulent espace intérieur dont la conquête progressive recoupe l'Histoire même de la nation étasunienne, où la Frontière ne fut pas désignée comme limite ou barrage, mais comme invitation à explorer ce qui se trouvait au-delà. C'est sous cet éclairage-là qu-il convient de revoir le concept même de 'globlisation', à réduire à sa juste dimension, car il désigne seulement un élargissement de l'aire des échanges et leur intensification. La mondialisation de ne concerne que les pays riches ou émergents, laissant de côté des très larges zones périphériques, comme de grandes parties de l'Afrique, de l'Asie, du Monde Arabe. Elle n'appartient donc pas au vocabulaire géographique, mais politique.
Pour autant, il serait paranoïaque de considérer la démarche poursuivie par les multinationales comme sournoise ou malhonnête, et erroné d'imaginer qu'elles ont su s'inventer une sorte d'autarcie culturelle sans perméabilité avec les milieux où elles se sont implantées. Elles ne sont pas culturellement étanches, ainsi que l'actualité le prouve: elles peuvent elles aussi être victimes de la fragilité ambiante de l'économie mondiale, comme cela s'est passé durant la crise, à partir de l'été 97, des économies asiatiques après celle du Mexique en 94-95 et avant celle de la Russie et de l'Amérique du Sud en 98. Les entreprises qui s'en sortent sont les firmes qui ont développé leur capacité d'endurance et de préparation afin de naviguer avec plus de sûreté au milieu de marchés décloisonnés. Sur leur sol, les industries américaines sont soumises au même système libéral que leurs rivales, qui y trouvent un marché exigeant, mais ouvert. Pas de pitié, peu de subventions et la désaffection des consommateurs américains guettent les compagnies US quand elles n'ont pas tiré leur épingle du jeu.
A cet égard, l'industrie automobile américaine fournit une illustration particulièrement frappante. Voilà une activité et un produit qui ont pendant près d'un siècle symbolisé la mobilité, la prospérité et même la démocratie américaines, véhicule privilégié du Rêve Américain et sa représentation tangible, indissociable de l'American Way of Life pour le meilleur et pour le pire. De surcroît, c'est ce secteur-là qui a révolutionné au XXième siècle les modes de production industrielle, la définition du travail et du dialogue social. Aujourd'hui encore, l'automobile reste la 2ième activité du pays après les services financiers. Or, qu'est-il advenu des trois mastodontes de Détroit? Leur sort dans le maelström global souligne à quel point les ont atteintes les turbulences interculturelles dans leur identité, leur discours, leurs objectifs et leurs fonctionnements.
- La General Motors, 1ière entreprise mondiale, a subi durant huit semaines l'été 98 une grève massive déclenchée par l'United Auto Workers à la suite de la décision de la compagnie d'augmenter ses achats de pièces détachées auprès de sous-traitants externes. L'arrêt de travail occasionné par le recours à l'outsourcing a provoqué la mise au chômage technique de près de 200.000 employés, y compris des Canadiens et des Mexicains, ainsi que la fermeture de 26 sites de montage sur 29 et d'une centaine d'usines de composants automobiles de par le monde. La délocalisation imposée sans ménagement aménagements a entrainé des mouvements sociaux en chaîne, détérioré le climat de travail, créé des tensions entre la direction et la main-d'ouvre et entre les nationalités, suscité des comparaisons et des évaluations interculturelles, et provoqué une redéfinition de la confiugration de l'entreprise. A quand la création de syndicates 'globaux' capables de projeter les intérêts de leurs adhérents à l'échelle planétaire?
- La Chrysler, elle, fait partie intégrants depuis novembre 98 de la société allemande DaimlerChrysler, Aktiengesellschaft dont les statuts sont déposés en Allemagne et le siège est basé à Stuttgart. Les Américains ont quelque mal à admettre que ce rapprochement stratégique est en réalité le rachat par Daimler ne d'un enfant du pays! La direction de la nouvelle société ne sera bicéphale que durant une brève période de transition: dès 2001, Jürgen Schrempp restera seul maître à bord. Quant à la participation, obligatoire en droit allemand, des employés à la gestion de l'entreprise avec la présence de leurs représentants au sein du Conseil de Surveillance, les syndiqués américains en seront pour leurs frais: en effet, ils ne sont pas autorisés à voter dans une structure sous juridiction allemande, même si leurs confrères de Stuttgart leur ont réservé un siège symbolique! Et que va-t-il advenir des usages américains en matière d'intéressement aux bénéfices, d'octroi de primes annuelles et de stock-options? Et comment cette fusion de deux géants culturellement si différents et éloignés l'un de l'autre va-t-elle se traduire au quotidien pour les travailleurs, placés, dans une situation inédite? L'entreprise globale est un laboratoire interculturel ...
- C'est peut-être la Ford Motor Company qui est allée le plus loin dans ce domaine. Déjà pionnière au début du siècle pur l'organisation moderne du travail et traditionnellement attachée à l'international, elle s'est lancée dans une vaste opération de redéploiement de ses ressources afin de s'adapter à la nouvelle donne économique caractérisée par la généralisation des normes de consommation, par le démantèlement des barrières physiques et réglementaires, ainsi que par l'application à la production manufacturière des nouvelles technologies. Celles-ci permettent dorénavant à des unités et des équipes de spécialistes séparées entre elles par de grande distances, de travailler ensemble, d'échanger rapidement des pièces et instantanément les informations dont elles ont besoin. Ainsi ingénieurs et techniciens pluridisciplinaires et multinationaux sont-ils à même de collaborer par é-cran interposé; ou encore, dans le cas où une demande ponctuelle sur un point du globe excède les capacités locales à y répondre, il sera possible de réagir au plus vite en faisant appel à une usine située ailleurs, y compris aux antipodes. Les véhicules qui sortent de ce nouveau dispositif sont constitués du plus grand nombre possible de composantes identiques, donc transférables. Eliminées vont être les redondances fréquemment observées dans le passé. Toutefois, quelques variantes régionales peuvent tenir compte de conditions de terrain, de différences de modes de vie, de spécificités nationales (ainsi, l'engouement français pour le diesel, la propension européenne aux petites voitures et aux changements de vitesses non automatiques, par exemple).
Identifier des mutations économiques moins choisies qu'acceptées comme autant d'inspirations stimulantes plutôt que dérangeantes est le singe d'un esprit positif, hospitalier au changement, au réalisme, à l'effort, à la remise en question, à l'inventivité. En France, le débat sur la globalisation tend à se crisper autour d'interrogations philosophiques sur la place de l'Homme dans un univers perçu comme sauvage et débridé, ainsi que de réponses singulières: omniprésence de l'Etat-Providence, solution malthusienne de la réduction du temps de travail comme si le volume des richesses et des emplois était stationnaire. L'option américaine, quant à elle, réduit les personnes à la prosaïque dimension d'employés, de partenaires, de consommateurs, d'actionnaires. L'entreprise pose les questions en termes de coûts, d'outils de gestion, de productivité. Elle vise le développement du chiffre d'affaires, l'augmentation des marges, l'amélioration de la qualité des produits, la satisfaction des clients, etc. Ses dirigeants considèrent que leur premère responsabilité n'est pas d'ordre spéculatif, mais de faire vivre et prospérer l'entreprise aux deux niveaux de son organisation interne et de la macroéconomie.
Prisonnière des clichés réducteurs qui no voient en elle que la cellule 'capitaliste' de base l'économie de marché, l'entreprise est bien plus que cela, surtout dans le contexte 'global' actuel. Organisme social complexe, vivant et sensible, elle représente une communauté de personnes liées entre elles moins par la seule recherche du profit que par une multitude de processus de fonctionnement beaucoup moins rationnels que ne la fantasment ceux d'entre nous que leur timidité, leur ignorance ou leur méfiance à son égard rend réticents à l'aborder dans sa dimension humaine et interactionnelle.
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