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Penser l’exil ou les partages irrémédiables
Réflexions sur Je fais comme fait le nageur dans la mer de Sadek Aissat (1)Belaïd Djefel (Ecole Normale Supérieure des Lettres et Sciences Humaines d’Alger) [BIO]
Courriel: blaiddj@yahoo.fr
RÉSUMÉ:
l me faut donc ainsi retenir et ravaler en moi l’obscur sanglot, le cri d’appel, mais hélas! vers qui se tourner? à qui donc, mais à qui donc s’adresser?à l’ange, non, à l’homme, non! et les animaux pressentent et savent, dans leur sagesse qu’on ne peut pas s’y fier: que nous n’habitons pas vraiment dans notre monde interprété.
(Rilke)
Si l’histoire de l’exil relève de la sociologie, les histoires d’exil, captives de violence historique, se donnent à lire comme des expériences ontologiques largement ouvertes à la spéculation philosophique. Le texte littéraire se donne en effet, comme un moyen d’aggraver et d’alourdir la question pour révéler la dimension cachée et tragique de cette manière spécifique de se tenir dans la vérité.
Il n’ y a de vérité, faut-il le rappeler, que là où la question peut être surmontée originairement, c’est-à-dire en renvoyant sa vérité primitive dans ses propres frontières, et la fondant par là, à nouveau. Si les personnages du roman de S. Aissat font douloureusement l’expérience de l’épreuve suprême, c’est pour mieux indiquer et révéler une autre manière et un autre lieu spécifique de se tenir dans la vérité. «La solitude, ainsi que le refoulement de nombreux de nombreux désirs sombres, écrit-il, sont parmi les rares formes possibles de liberté (…). J’aboutissais à une constatation d’ordre chirurgical: être lié à rien, n’avoir à se justifier ce rien ni de personne. Assumer l’errance». N’être lié à rien, ne pas être, ou plus radicalement, naître de rien, signifie: sortir d’une stabilité, aller au-delà de toute généalogie, de toute permanence.
Avoir un nom et une origine nous empêche de séjourner auprès de tous ceux qui sont «pris dans la tourmente de destins qui les dépassent», et qui nous aident à pénétrer plus en avant pour remonter à cette vérité de l’être, qui n’est pas l’identité comme pure équivalence, mais comme la somme des totalités singulièrement différentes. Le personnage de Sien brouille les repères généalogiques et déstabilise l’assise racinale pour devenir, comme elle le dit, un «être de vent», «lueur lointaine d’une généalogie perdue dans un autre âge».
Nous tenterons par ces quelques ouvertures d’ouvrir, à partir du texte de l’écrivain algérien cité, les portes d’un questionnement plus serré et aller au cœur de ce que peut bien suggérer une réflexion sur cette forme de tragédie qu’est l’exil, très répandue dans le texte maghrébin.
1 Editions Barzakh, Alger 2002.
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